Tous les indices le désignent les abstentionnistes comme le futur grand parti qui remporterait la victoire des prochains scrutins législatif et présidentiel. Il faut sonner l'alarme !
Par Imed Bahri
Il s'agit là d'un vrai parti, quand bien même il n'a pas de visa, de bureau politique et de président. Mais ce qui lie ses partisans, c'est qu'ils tiennent tous le même discours négatif à l'égard des responsables politiques issus de l'après révolution du 14 janvier 2011. Ils sont tous corrompus, incompétents, à la solde de l'étranger et, surtout, obnubilés par le «koursi» (siège, c'est-à-dire le pouvoir)! Pis : ils n'ont tous rien à cirer du petit peuple, qu'ils ont trompé en lui volant sa révolution.
Une désaffection généralisée
Des indices de cette désaffection généralisée? Il n'y a que ça! Des meetings où la plupart des participants sont ramenés d'autres régions, qui par bus, qui par louage, qui par transport rural, qui par voiture personnelle, mais rarement à pied du quartier ou de la ville où se tient la manifestation.
Cela vaut pour tous les partis, sans exception, et particulièrement les grands d'entre eux.
Le coût de la participation d'un citoyen à un meeting est en moyenne entre 25 et 30 dinars, auquel s'ajoute une somme de 5 à 30 dinars, selon la capacité financière et la «qualité» du participant. Pour le «casse-croute», justifient les responsables de la mobilisation pour expliquer ce dérapage que la loi électorale interdit et qui est considéré comme une «rachwa» ou un «bakchich», tentative de corruption du citoyen. Mais jusqu'à maintenant l'Instance des élections (Isie) fait semblant de ne rien avoir vu.
Et puis, sur le plan strictement pénal, peut-on réellement assimiler le fait de «nourrir» d'honorables citoyens à un acte de corruption? Allons donc! Moncef Marzouki, ci-devant président provisoire de la république, qui, pendant trois ans, n'a pas cessé d'inviter à sa table des milliers de citoyens et dont le budget de frais de bouche se compte en millions de dinars, serait-il alors un grand corrupteur devant l'éternel?
Il est clair qu'en faisant un survol rapide de l'assistance des meetings, on s'aperçoit que la présence des jeunes est remarquable! Sauf qu'en général, ce sont des jeunes chômeurs ou élèves à qui on a demandé deux ou trois heures de présence moyennant 10 ou 20 dinars.
Des boites de «casting» ont vu le jour sans visa légal, d'abord pour collecter les signatures pour les candidats à la présidentielle, ensuite pour «mobiliser» les gens pour les meetings.
Ainsi les mêmes jeunes assistent-ils à des réunions et meetings de plusieurs partis, endossant chaque fois des tee-shirts aux couleurs du «parti du jour» et brandissant ses pancartes!
Ces improbables futurs élus
Autre indice, l'absence quasi totale de l'effervescence électorale dans ces meetings. Aucune passion dans les discours de mobilisation voire une insipidité totale, dont les apparitions quasi-comiques des candidats aux législatives à la télévision nationale ne sont que la partie visible de l'iceberg, et qui traduit une absence totale de conviction chez ces improbables futurs élus.
La raison réside dans le fait que les chefs des partis politiques ont aseptisé leurs discours électoraux de peur d'êtres épinglés par les médias à l'affût de chaque promesse mensongère et de chaque écart de langage. Ceux qui se sont écartés de cette règle de bienséance, comme ce malheureux président d'un parti connu pour ses «fausses» promesses, se sont brûlés les doigts. Car les Tunisiens ont désormais horreur du mensonge politique, vu qu'on leur a tellement menti et c'est ce qui explique la progression de cette tendance à l'abstentionnisme.
Le fait que la plupart des partis ont consacré une partie de leur campagne à inciter les citoyens à aller voter en masse prouve cette crainte des partis modernistes de se voir sanctionnés eux aussi par l'abstention.
Le parti islamiste Ennahdha, quant à lui, compte sur une masse électorale stable qui, selon certains experts, avoisine les 500.000 voix potentielles, tout en essayant de récupérer celles des Destouriens, qui n'ont pas voté au dernier scrutin, d'où le discours mielleux de Rached Ghannouchi à leur égard.
Mais cette peur de l'abstention chez les partis est due à une autre raison. En effet, des sondages effectués par des boites étrangères, pour le compte des gouvernements étrangers et leurs ambassades, montrent que les Tunisiens, dans leur majorité, n'ont plus confiance dans «le système démocratique».
En attendant un chef au bras long
Ainsi le très célèbre Pew Resarch, un think-tank américain, vient de publier une étude basée sur des sondages effectués régulièrement sur des échantillons représentatifs de la population tunisienne, qui a révélé que seulement 48% de la population préfèrent un gouvernement démocratique à un régime autoritaire, contre 63% en 2012. Et que seulement 38% croient qu'un gouvernement démocratique peut résoudre les problèmes du pays. D'autre part, 59% de la population préfère un «leader with strong hand», un chef au bras long, en 2014, contre 37% en 2012 seulement.
«La confiance en la démocratie décline en Tunisie», est le titre choisi par le think-tank pour son étude. Nous n'en révélerons pas d'autres éléments de peur de tomber sous le coup de la loi, combien stupide, qui interdit au peuple de connaître les résultats des sondages d'opinions quatre mois avant les élections; alors que des sondages continuent à êtres menés pour le compte de partis et que les ambassades étrangères livrent régulièrement des résultats de sondages à leurs «amis» politiques pour leurs permettre d'aiguiller leurs campagnes électorales. Ainsi l'affaire «Slim Riahi» n'a-t-elle éclaté que parce que certains sondages, vrais ou faux, l'ont mis dans le peloton de tête des postulants à la présidentielle.
On continue ainsi à cacher la vérité aux Tunisiens au prétexte de les protéger contre «la manipulation», comme si le peuple peut être dupé facilement.
Pour ne pas être dupée une partie de ce peuple semble avoir choisi l'abstention. Est-il déjà trop tard?
Article lié:
Tribune-Tunisie: Les élections et le danger mortel de l'abstentionnisme
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