Dimanche 26 octobre 2014, les Tunisiens ont une occasion en or pour rectifier l'erreur qu'ils ont commise un certain 23 octobre 2011.
Par Moncef Dhambri
Ce jour là, les Tunisiens, où 42% d'entre eux ont eu la naïveté de croire que «l'honnêteté et la peur de Dieu» des Nahdhaouis étaient faites pour servir les idéaux de la révolution du 14 janvier 2011. Depuis, ils ont bu le verre de l'islamisme jusqu'à la lie.
Ce dimanche, nous irons donc voter pour la Tunisie. Nous irons voter pour la liberté, la dignité et la justice. Rien de plus mais rien de moins, non plus.
C'est avec cette détermination à garantir ces minimum et maximum de notre révolution et notre volonté à continuer de les défendre encore et toujours que nous avons pu, jusqu'ici, donner le sens plein à notre «Dégage!» qui a eu raison de la dictature de Ben Ali et fait rêver la planète entière.
Au moment de voter les Tunisiens doivent garder présents à l'esprit les responsables de la montée du terrorisme et de l'assassinat de Mohamed Brahmi et Chookri Belaïd.
C'est avec cette conviction pure, dure et inaltérable que nous, peuple de Tunisie, sommes devenus faiseurs de notre histoire – et peut-être aussi, en toute modestie, rédacteurs d'un des chapitres les plus glorieux du 21ème siècle – et que nous n'accepterons rien qui puisse porter atteinte à notre droit à la démocratie, à la modernité, au progrès, à la tolérance et à la modération.
Nous sommes ce que nous sommes. Nous n'importerons rien. Et nous ne prétendons d'aucune manière vouloir exporter notre révolution, qui se suffit à elle-même.
Renvoyer les «enfants du bon Dieu»
Nous continuerons, par les modestes moyens dont les femmes et les hommes de Tunisie disposent, à inventer notre présent et à préparer le meilleur avenir de notre vivre-ensemble. Nous avons souffert, et nous souffrirons sans doute encore, pour construire notre salut et donner à nos rêves une forme parfaite.
Au bout de trois années, nous avons appris de nombreuses leçons. Nous avons appris, par exemple, à mieux nous connaître et à connaître ceux d'entre nos concitoyens revenus d'exil, libérés des prisons de la dictature ou sortis de la clandestinité. A ces gens-là venus d'ailleurs, près d'un électeur sur deux avait accordé son bulletin de vote, le 23 octobre 2011.
L'on se souviendra toujours de ce fâcheux faux pas. L'on n'oubliera pas de sitôt le prix élevé qu'une certaine «innocence» tunisienne a eu à payer pour la confiance qu'elle a placée en Rached Ghannouchi et en ses comparses, Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar.
Ces trois-là ensemble nous ont pris «pour des canards sauvages» et se sont joués de nos attentes, de nos espoirs et de notre petite économie. Ils nous ont trompés et ils nous ont divisés pour qu'ils puissent régner. Leur hydre à trois têtes, que l'on appelle «troïka», a gouverné pendant plus de deux interminables années où, chaque jour, nos rêves révolutionnaires nous ont échappé et de nouveaux cauchemars sont venus nous hanter. Ils ont semé dans notre pays les doutes les plus fous, installé les peurs les plus horribles et récolté les sales dividendes de leur «légitimité électorale».
Par leur malhonnêteté et leurs nombreux échecs, notre 14 janvier 2011 a accusé des retards coûteux, emprunté des voies qui n'étaient les siennes, il s'est enlisé et, pire encore, il a tué ses propres enfants – sans doute les plus fidèles d'entre eux. Ceux-là s'appellent Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi, Socrate Cherni et les autres martyrs que les balles assassines des salafistes, jihadistes et wahhabites – tous des «enfants» du gourou de Montplaisir – ont mis hors d'état de nuire au projet nahdhaoui d'islamisation de la Tunisie.
La "troika" famélique qui a mené la Tunisie au bord de la banqueroute.
Parce qu'il y a une autre Tunisie, celle qui n'a jamais cru que la révolution a besoin de plus d'islam ou de moins d'islam, celle qui a poussé Ben Ali à la fuite non pas parce qu'elle souffrait d'une crise identitaire, d'aucun manque spirituel ou autres tares culturelles, l'hydre «troïkiste» a été contraint de quitter La Kasbah et de laisser la direction des affaires du pays à Mehdi Jomaa et son équipe de «technocrates».
L'autre Tunisie, la vraie Tunisie
Cette autre Tunisie, celle du sit-in d'Errahil de l'été 2013, a forcé les usurpateurs de la révolution à battre en retraite et à se retirer, mais, de l'aveu même des conspirateurs nahdhaouis et de leur stratège-en-chef Rached Ghannouchi, ce départ sur la pointe des pieds n'impliquait pas un abandon du pouvoir.
De fait, la majorité islamiste de l'Assemblée nationale constituante (ANC) continuera à faire les lois et à contrarier tout ce qui dans les actions du gouvernement Jomaa pouvait lui déplaire ou desservir sa cause.
Cette vraie Tunisie n'en a pas baissé les bras pour autant, car elle a obligé Ennahdha à prendre place autour de la table du Dialogue national et à accepter la Feuille de route – avec ses perfections et ses points de faiblesse. Elle arrachera aux islamistes des concessions, les unes après les autres, jusqu'à vider leur «légitimité électorale» de tout son sens et à acculer les locataires du Palais du Bardo à rédiger les articles de la nouvelle Loi fondamentale du pays à la vitesse grand V.
Plus rien, donc, à partir de l'adoption de la Constitution du 26 janvier 2014, ne pouvait justifier le mandat doublement prolongé de l'ANC et tout le pays allait lancer les préparatifs du rendez-vous crucial du 26 octobre 2014. C'est là, en effet, que se joue le deuxième round, le round décisif, qui opposera la fausseté des «vertus» nahdhaouies et la nature pernicieuse du dessein islamiste à l'autre Tunisie qui, depuis au moins le lendemain de l'Indépendance, ne s'est plus interrogée sur son identité arabo-musulmane, son appartenance africaine, son ouverture sur le monde ou son inclination moderniste.
Le 26 octobre 2014 sera, à n'en pas douter, le jour et la nuit les plus longs de l'histoire de la Tunisie. Le bulletin de vote, aura-t-il définitivement raison de l'hydre «troïkiste»?
A coup sûr, deux des têtes de ce monstre, celles du CpR et d'Ettakatol, sont vidées –par les désertions nombreuses et les démissions en masse de leurs membres – et elles finiront par tomber. Les deux alliés d'Ennahdha ont eu plus de deux années durant lesquelles leurs incompétences se sont couvertes de ridicule.
Le couperet de la guillotine des législatives étêtera-t-il aussi la mante religieuse nahdhaouie, elle qui a déjà dévoré ses associés Cpristes et Ettakatolistes et s'apprête à offrir sa potion «consensuelle» pour ensorceler d'autres brebis égarées?
Souhaitons que l'électeur tunisien voie clair dans le jeu d'Ennahdha et qu'il ramène l'influence de son «islamisme» à une proportion égale à l'islam que la Tunisie a toujours connu, c'est-à-dire celui de nos grands-parents et nos arrière-grands-parents, cet islam qui ne fait pas de la politique et qui ne définit pas, par exemple, la rapport femme-homme en termes de «complémentarité», mais en termes d'égalité...
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