A distance, le ''Washington Post'' tente de démêler l'écheveau du Printemps arabe et de trouver les raisons de la réussite tunisienne et de l'échec égyptien.
Par Marwan Chahla
Fareed Zakaria, auteur de cette analyse, continue de croire que le succès tunisien tient essentiellement à la «modération»nahdhaouie.
Nous avons choisi de commenter quelques extraits de cet article du journaliste et écrivain américain, d'origine indienne, pour deux raisons principales: Fareed Zakaria est depuis une bonne décennie, sinon plus, une sommité parmi les experts et les commentateurs les plus lus et les plus écoutés aux Etats Unis, et ailleurs à travers le monde, et donc une tête pensante très influente auprès des élites et des décideurs américains; il y a lieu, également, de tenir compte de l'efficacité et des résultats convaincants de la campagne médiatique et diplomatique qu'Ennahdha a menée à Washington et dans d'autres capitales occidentales.
Fareed Zakaria insiste sur cette prédisposition qu'ont les dirigeants nahdhaouis à accepter l'alternance. Il se réfère, en cela, à l'éminent professeur américain de science politique Samuel Huntington et à la très célèbre thèse de ce dernier sur «l'épreuve des deux alternances» selon laquelle «un pays peut être considéré comme ayant consolidé la démocratie s'il parvient à réaliser deux alternances de pouvoir». Et l'auteur de l'article du ''Washington Post'' (''WP'') de conclure: «Cette semaine, avec ses deuxièmes élections législatives, la Tunisie a réussi ce test d'Huntington».
Obsédé par la tournure que les choses ont prise en Egypte, Fareed Zakaria s'est laborieusement échiné, dans son article, à comparer les deux expériences incomparables, les deux parcours qui n'ont en commun, en définitive, que les points de départ: la destitution de Ben Ali et celle de Moubarak – ni plus, ni moins. Que la spontanéité réfléchie de la révolution tunisienne ait été suivie par une sorte de «et si on tentait notre chance, nous aussi?» en Egypte, par exemple, semble échapper à l'analyste du ''WP''.
Et la vigilance de la société civile?
Pour Zakaria, «la majorité des observateurs s'accordent à dire que ce qui a fait la différence entre la réussite de la transition en Tunisie et l'échec égyptien tient essentiellement au fait que le parti Ennahdha, qui est à peu près l'équivalent de celui des Frères musulmans d'Egypte, a accepté, à la suite du premier scrutin libre du pays (celui de l'Assemblée nationale constituante du 23 octobre 2011, NDLR), de partager le pouvoir, alors que leurs frères égyptiens ont refusé de le faire. Ennahdha n'a pas cherché à instituer la charia en Tunisie, a exprimé son respect des lois tunisiennes progressistes sur les droits de la femme et a volontairement cédé le pouvoir, cette année, à une équipe gouvernementale de technocrates afin d'assurer l'intérim et de préserver l'union nationale».
Même si Fareed Zakaria, en milieu et en fin d'article, emprunte à Tarek Masoud, auteur d'un brillant livre, ''Counting Islam'' (Compter avec l'Islam), sur les islamistes et les élections, quelques idées sur les différences entre les contextes politiques et sociologiques tunisiens et égyptiens, il omet de relever qu'il y a eu, tout au long du parcours transitionnel en Tunisie, cette forte «contre-révolution», ainsi que les dirigeants nahdhaouis n'ont jamais cessé de qualifier ce puissant contrepoids civil qui s'opposait à leur hégémonisme et à leur tentative d'islamisation du pays.
C'est à la vigilance constante et à la prompte réaction de sa société civile, qui a constamment «mis le bâton dans les roues» des Troïka 1 et 2, les coalitions gouvernementales dominées par Ennahdha,que la Tunisie doit la tenue d'un deuxième scrutin libre qui a scellé, pour au moins les 5 prochaines années, le sort nahdhaoui – ou, du moins, souhaitons-le.
A cette force «moderniste et progressiste» qui est, qu'on le veuille ou pas, représentée dans une très large mesure par Nida Tounes, il revient aujourd'hui de saisir cette chance qui lui est donnée de démontrer sa compétence à diriger les affaires du pays, à rattraper le temps perdu, les temps perdus, et à redonner aux Tunisiens le sourire...
Les islamistes «bons joueurs»
Mais pour que les modernistes et progressistes en Tunisie, et ailleurs, ne prennent pas le fair-play nahdhaoui pour argent comptant, pour qu'ils ne se méprennent pas sur ce comportement de gentlemen de certains dirigeants d'Ennahdha, il y a lieu – et il y aura toujours lieu – de garder présent à l'esprit que les islamistes construisent leurs projets sur le long terme et sur des bases solides. Le repli que l'on observe aujourd'hui chez les Nahdhaouis ou leur retrait est tout simplement stratégique: ils acceptent de s'absenter du pouvoir – même si cette absence reste «présente» – et reculent pour pouvoir mieux sauter, le moment venu...
La somme finale, donc, de ce que les Nahdhaouis ont récolté, le 26 octobre 2014, ne devrait pas faire rougir les stratèges de Montplaisir: certes, il y a eu une baisse d'une vingtaine de sièges au prochain parlement par rapport à l'avance confortable dont les disciples de Rached Ghannouchi disposaient au sein de l'Assemblée constituante (ANC) de 2011 à 2014, mais l'honneur nahdhaoui est amplement sauvé par l'image de «bons joueurs» que les islamistes ont réussi à véhiculer çà et là, en Tunisie et chez nos frères et amis...
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