La difficulté des dirigeants d'Ennahdha à se mettre d'accord sur le candidat à soutenir pour la prochaine présidentielle traduit leur désarroi actuel...
Par Marwan Chahla
Les dirigeants islamistes n'arrivent pas à se décider sur le choix du «candidat consensuel» à la présidentielle qui pourrait faire barrage à l'irrésistible ascension de Béji Caïd Essebsi (BCE), candidat de Nida Tounes. Ils multiplient leurs consultations, tiennent réunion sur réunion... reportent encore et encore leur verdict. Ils ne savent plus où donner de la tête.
L'onde de choc du camouflet cinglant essuyé par Ennadha aux législatives du 26 octobre 2014 n'a pas fini d'éroder, chaque jour encore plus, l'assurance arrogante à laquelle les islamistes nous ont habitués durant une bonne part de l'après-14 janvier 2011.
Rached Ghannouchi: la verve triomphaliste de la campagne électorale est passée. Le "gourou" fait profil bas.
Une autre raison de vivre
Les résultats du scrutin parlementaire ont, à n'en pas douter, entamé sérieusement le moral des Nahdhaouis. Ces derniers réalisent, à présent, qu'ils ne pourront pas, pendant les 5 prochaines années, user de leur très célèbre argument de «légitimité électorale», qu'ils devront s'inventer une autre raison de vivre et que l'islam politique en Tunisie a subi un sacré coup...
Dans l'immédiat, les stratèges de Montplaisir s'affairent, comme ils peuvent ou ne peuvent pas, à sauver les meubles et à trouver un «tartour» (guignol) pour un bail quinquennal au Palais de Carthage. Et ils cherchent encore, alors la campagne présidentielle est bel et bien lancée, ce fameux «candidat consensuel» qui pourrait priver Nida Tounes de la présidence de la République ou tenir la dragée haute à BCE et l'empêcher de sceller le sort du scrutin présidentiel, dès le premier tour.
Les Nahdhaouis en rangs serrés, mais désorientés, indécis et ne sachant à quel saint se vouer.
De toute évidence, les dirigeants islamistes ont perdu leur assurance de «faiseurs de rois». Ils semblent, à tout le moins, avoir accepté de mettre de l'eau dans leur lait de chamelle et parlent désormais d'un candidat qui garantirait l'équilibre entre les pouvoirs – le Bardo, la Kasbah et Carthage. Les deux premiers leur échappent déjà et le troisième risque fort bien de tomber dans l'escarcelle de Nida Tounes. Ce qui, à leurs yeux, constituerait une véritable catastrophe.
L'on est donc loin, bien loin, de cette position nahdhaouie où les islamistes font la pluie et le beau temps: à présent, avec leur «petite» soixante-dizaine de sièges au prochain parlement et une vague déferlante du Nida, qui a remporté la première manche des parlementaires et qui est promis à rééditer ce succès à la présidentielle du 23 novembre, les dirigeants d'Ennahdha ont pris conscience que leur mandat législatif de trois années (2011-2014) et leurs deux gouvernements (décembre 2011-janvier 2014) les ont usés et plus qu'usés. Ils réalisent aussi la difficulté qu'ils ont désormais à sauver leur mise, quoi qu'ils fassent.
La peur d'un nouveau camouflet
Lundi 3 novembre 2014, le Conseil de la Choura d'Ennahdha a une fois encore reporté sa décision d'arrêter son choix sur celui ou celle (!?) d'entre les 25 candidats toujours en lice pour la course au Palais de Carthage qui pourrait faire un poids honorable face à un BCE auquel rien ne semble pouvoir résister. Pour être sûrs de limiter les dégâts, les Nahdhaouis ont changé de ton et de discours et se pressent lentement: «Nous avons besoin de plus de temps, de plus d'échanges de vues. Le Mouvement s'intéresse au plus haut point au scrutin présidentiel et il soutiendra un candidat dont nous avons déjà défini le profil, lors de nos précédentes réunions. A présent, nous sommes en train d'étudier la teneur des consultations que nous avons entreprises, les contacts politiques que nous avons établis et la proposition qui nous a été soumise par le parti d'Ettakatol de M. Ben Jaâfar. Et, si Dieu le veut, nous arrêterons notre décision dans quelque temps. Les choses prendront le temps qu'il faudra, car nous ne faisons pas cela uniquement pour servir les intérêts de notre mouvement, nous le faisons aussi pour la Tunisie», a ainsi déclaré Fathi Ayadi, le président du conseil de la Choura.
Au secours! Sadok Chourou, l'ex-député qui voulait faire couper les mains et les pieds des grévistes, est toujours là.
Plus direct, Abdelhamid Jelassi, autre cacique nahdhaoui, a explicité cette hantise des stratèges de Montplaisir qu'obsède l'inévitable deuxième défaite qui les attend le 23 novembre prochain: «Nous tenons à éviter à notre pays l'hégémonisme du ''parti unique''... Nous aurons besoin de quelques jours supplémentaires pour plus de plus amples concertations et afin de choisir le candidat fédérateur, celui qui garantira une plus grande unité dans nos rangs et épargnera à la Tunisie la domination d'une seule formation politique».
Traduisons: Ennahdha, malgré le fair-play que ses dirigeants ont affiché au lendemain de leur défaite au scrutin parlementaire et leur acceptation de l'alternance, a peur et ne souhaite pas que le vote-sanction des législatives du 26 octobre se transforme, à l'occasion de la présidentielle, en un châtiment de Dieu.
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