La Tunisie a-t-elle besoin d'un haltérophile ou d'un président au CV bien riche et au carnet d'adresses bien fourni et en pleine possession de ses capacités intellectuelles?
Par Moncef Dhambri
Béji Caïd Essebsi, 88 ans dans quelques jours, mais le candidat de Nida Tounes pour la présidentielle du 23 novembre 2014 est attaqué par ses adversaires pour son âge.
Se trouvant, une fois de plus, dans l'obligation de se justifier sur l'état de sa santé, le très populaire Béji Caïd Essebsi (BCE), lors d'un meeting populaire à la Coupole d'El-Menzah, samedi 15 novembre, a failli se mettre torse nu pour répondre à ceux d'entre ses rivaux qui, n'ayant pas trouvé mieux, ont choisi pour thème de leurs campagnes électorales la «fragilité» physique du président de Nida Tounes.
«Examinez-moi!»
Devant un auditoire de plusieurs milliers de personnes, sans compter celles qui se sont rassemblées à l'extérieur, BCE s'est plaint: «Je suis au regret de constater que plusieurs voix se sont faites entendre, ces derniers jours, parce que la réussite de Nida Tounes leur a énormément déplu. Ces voix-là sont venues semer le doute et la confusion. Elles se sont élevées pour dire du mal, pour injurier et vilipender. Et toutes ces critiques sont dirigées contre ma modeste personne. Face à cette hargne, l'on est en droit de s'interroger sur les raisons qui poussent ces gens-là à recourir à pareilles attaques. Que nous disent-elles toutes ces personnes? On les a entendu dire: ''Ça y est, il (BCE, NDLR) a été hospitalisé'', ''Ça y est, il est mourant'', ''Il a fait ceci, il a fait cela, il s'est allongé, il s'est endormi, il va y passer, cette fois-ci...''. Mettons un terme à ce jeu malsain! A tout cela, il n'y a qu'une seule réponse: qui est-ce qui est mieux placé que le peuple pour savoir ce qui lui convient? Et (s'écartant du pupitre, il déboutonne sa veste, comme pour se prêter à une auscultation médicale), souhaitez-vous m'examiner?», interroge-t-il son auditoire.
S'il fallait, pour contrer ces attaques, emprunter à la sagesse populaire un adage, l'on citerait celui du «Seul Dieu a le pouvoir de déterminer la vie ou la mort de ses hommes» (الاعمار بيد الله). Ce proverbe démolit l'argument de ceux qui, au lieu de le concurrencer BCE sur le terrain de ses aptitudes intellectuelles, ont choisi de reprocher au très populaire «Bajbouj» son âge avancé. Cette maxime peut également avoir le mérite de rassurer ces âmes sensibles que le «sait-on jamais» effraie et qui oublient qu'un jour ou l'autre nous partirons... mais que l'on ne saura jamais quand...
Par ailleurs, si l'on additionne toutes les tâches quotidiennes qu'un locataire du Palais de Carthage est appelé à accomplir, nous nous retrouverons avec une somme totale de travaux qui n'est pas herculéenne: 3, 4 ou 5 heures par jour, tout au plus, devraient amplement suffire au chef de l'Etat pour s'acquitter de ses obligations présidentielles.
Que peut-on demander à un président de la deuxième République de Tunisie? Etre le maître de cérémonie d'un conseil des ministres une fois par mois, sinon à un intervalle plus long; garder un œil vigilant sur le travail gouvernemental, discuter de certains points des programmes du gouvernement et soumettre à ce dernier des suggestions; proposer aux représentants du peuple quelques projets de loi; jouer son rôle de chef de la diplomatie tunisienne et de gardien de la sécurité du pays. Toutes ces obligations, reconnaissons-le, ne requièrent pas des capacités physiques de marathonien.
Lire, approuver ou désapprouver
En outre, pour toutes ces tâches, le locataire du Palais de Carthage sera assisté par une équipe de conseillers à la présidence de la République. Ces derniers, lorsqu'ils sont compétents et bien à leur place, seront appelés à jouer le rôle de sherpas, c'est-à-dire des hommes et des femmes, spécialistes dans leurs domaines, qui déblaient le terrain pour le deuxième chef de l'Exécutif et lui fournissent ce que l'on pourrait appeler des solutions «prêtes à l'emploi». Le président de la République n'aura donc plus qu'à lire ce qu'on lui soumettra et à approuver ou désapprouver.
Pendant les cinq prochaines années, nous pouvons supposer que l'octogénaire ou le nonagénaire Caïd Essebsi honorera son contrat et s'acquittera de bien d'autres tâches encore. Car il en a les moyens, la compétence et l'expérience.
Souvenons que, lorsqu'il l'a décidé de le faire, il a été capable de créer Nida Tounes, une formation politique qui vaut ce qu'elle vaut mais qui, en définitive, est une force qui a établi un équilibre politique dans le pays. Sans cette décision de BCE et d'autres dirigeants du Nida, Ennahdha aurait pu faire à lui seul, et pendant de très longues années, la pluie et le beau temps.
Pour faire face à la «sorcellerie» de Rached Ghannouchi, il fallait bien cette magie de BCE qui a remis l'islamisme à sa place et rappelé que l'islam en Tunisie se portait bien et que notre pays ne souffrait pas d'aucune crise identitaire.
C'est, donc, cette capacité de placer le débat sur d'autres terrains – ceux de « la Liberté, la Dignité et la Justice» – et de mobiliser les foules autour de ces thèmes essentiels que l'on reproche à M. Caïd Essebsi.
Au Palais de Carthage, de 2015 à 2019, la mission de BCE se limiterait ainsi à cette tâche, toute simple et toute précise, de rassembler les Tunisiens autour des véritables objectifs du 14 janvier 2011. Nous ne nous interrogerions plus jamais sur nos choix modernistes et progressistes... Nous ne remettrions plus jamais sur le tapis cette question de l'égalité femme-homme, nous chercherions plutôt à la concrétiser sur tous les terrains. Nous ne ferions pas de la diplomatie «fofolle», nous saurions plutôt doser nos prises de position internationales. Nous ne serions jamais tentés d'exporter notre révolution, nous choisirions plutôt d'en prendre soin chez nous.
Pour tout cela, le prochain président de la République n'aura pas besoin d'avoir trente ou quarante ans, d'être jeune et fringant.
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