L’hôtelier et voyagiste Aziz Miled se trouve aujourd’hui au centre d’une polémique en France pour avoir offert de transporter à bord de son jet privé Michèle Alliot-Marie, la ministre française des Affaires étrangères.  


Les faits remontent à fin décembre dernier. Mme Alliot-Marie devait passer ses vacances de Noël 2010 à Tabarka, station touristique au nord-ouest de la Tunisie. Débarquée à l’aéroport de Tunis-Carthage avec des membres de sa famille, la responsable française s’est vue offrir le trajet Tunis-Tabarka à bord du jet privé d’Aziz Miled, son ami de longue date.   
La publication du nom de l’homme d’affaires sur la liste des Tunisiens liés à la famille de l’ex-président Ben Ali dont les avoirs ont été gelés en Suisse n’a pas manqué de soulever un tollé général en France, notamment dans les médias et les milieux de l’opposition. Comment la ministre française des Affaires étrangères a-t-elle pu accepter les générosités d’un homme d’affaires tunisien dont la fortune était faite avant l’arrivée de Ben Ali, mais qui a dû composer avec le frère mafieux de l’épouse de Ben Ali, Belhassen Trabelsi?

Miled-Alliot-Marie: des amis de longue date
Dans un communiqué publié mercredi soir, la compagnie Nouvelair, propriété d’Aziz Miled, a précisé que l’homme d’affaires avait «seulement invité la famille Alliot-Marie à l’accompagner à Tabarka», à bord d’un «jet privé de la compagnie». Tout en précisant qu’Aziz Miled est un «homme d’affaires bien connu en Tunisie pour son honnêteté et son intégrité» qui «tient à préciser que les membres de la famille Alliot-Marie sont des amis de longue date».
A Tunis, on a du mal à comprendre le bruit fait par les médias français autour de cette affaire. A tel point d’ailleurs que la situation précaire en Tunisie, où opèrent des milliers d’entreprises françaises et où vit une communauté française de plus de 20.000 âmes, semble être passée au second plan.  
Vues de Tunis, les préoccupations de certains confrères français semblent puériles et inconsistantes. Les lourdes allusions aux accointances d’Aziz Miled avec la famille de l’ex-président tunisien, sont censées souligner, par ricochet, la proximité de Mme Alliot-Marie, et du gouvernement Sarkozy dans son ensemble, avec le chef d’Etat déchu. Cela nous semble d’autant plus léger comme argument que cette proximité est largement démontrée par les déclarations et les positions officielles françaises.

Une tradition française de soutien au dictateur
Depuis l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, le soutien français (et européen, et américain) à la dictature de Ben Ali n’a d’ailleurs jamais faibli. Les Nicolas Sarkozy, Michèle Alliot-Marie, Frédéric Mitterrand ou autres Pierre Lellouche sont, à cet égard, les fidèles continuateurs d’une tradition française de soutien au dictateur tunisien qui remonte à François Mitterrand, Jacques Chirac, Charles Pasqua, Pierre Raffarin, et dans laquelle s’inscrit (pratiquement) la majorité de la classe politique française.
Pour revenir à Aziz Miled, il convient de préciser que cet homme d’affaires n’a pas attendu l’ère Ben Ali pour s’enrichir. Ayant débuté en bas de l’échelle, vendant des tapis avant de se convertir à l’hôtellerie avant de créer son propre empire (Tunisian Travel Service, Nouvelair). Tts commercialise aujourd’hui auprès des tours opérateurs européens plus de 20% de la capacité totale d’hébergement des hôtels de Tunisie (200.000 lits), notamment le n°2 européen Thomas Cook.
En 2003, Nouvelair a intéressé Belhassen Trabelsi, qui cherche à se prémunir de toute concurrence pour sa propre compagnie, Karthago Airlines. En décembre 2009, le frère de Leïla Trabelsi s’est emparé de 21% du capital de Nouvelair. Aziz Miled, resté l’actionnaire majoritaire avec les 79% restant, a du céder son fauteuil de Pdg au gendre de Ben Ali. Fauteuil qu’il a retrouvé le 28 janvier, après la fuite de Belhassen Trabelsi au Canada, deux semaines après la chute de Ben Ali.
L’homme d’affaires, soumis aux pressions intenables du clan au pouvoir et à leur racket organisé, a-t-il fait des concessions pour sauver son groupe?
A-t-il, au contraire, profité de sa proximité avec le clan Ben Ali-Trabelsi, comme le soutiennent ses détracteurs?
C’est la commission d’enquête nationale mise en place par le gouvernement de transition qui devra trancher cette question.

Un tri nécessaire
En attendant, on peut se poser ces quelques questions:
- Etait-il possible, sous le règne de Ben Ali, de faire des affaires à un certain niveau d’investissement sans payer sa dîme à son clan prédateur?
- Les hommes d’affaires connus pour leurs accointances avec ce clan y étaient-ils tous contraints?
- Où s’arrêtait la contrainte et où commençait l’implication active avec les pratiques mafieuses de ce clan?
- Ne faut-il pas faire la différence, parmi les hommes d’affaires associés au clan Ben Ali, entre ceux qui y étaient contraints, sous les pressions de l’administration, et qui risquaient, en cas de refus, de mettre en péril leurs intérêts (comme ce fut le cas pour Mohamed Bouebdelli), et ceux qui ont cherché activement cette association qui leur ouvrait bien des portes (licences, prêts bancaires et facilités de toutes sortes…)?
La commission d’enquête sur la corruption aura sans doute beaucoup de mal à faire le tri entre les ex-associés du clan: les actifs et les passifs, les contraints et les volontaires, les «benalistes» organiques, les «benalistes» opportunistes et les «benalistes» par contrainte…
Ce travail devrait néanmoins être fait avec la rigueur requise et dans le strict respect du devoir de réserve, car il ne s’agit pas de lancer une chasse aux sorcières, mais de démasquer les alliés actifs du système Ben Ali et de nettoyer les rouages de notre économie des pratiques litigieuses qui l’ont gangrénée au cours des vingt-trois dernières années.

Ridha Kéfi