Marzouki-Ghannouchi-Essebsi-Banniere

Depuis le début de la campagne présidentielle, les islamistes d'Ennahdha n'ont cessé de souffler le chaud et le froid sur la course au Palais de Carthage.

Par Moncef Dhambri

Les islamistes prétendent, à qui veut les croire, qu'ils se garderont d'abandonner leur neutralité et font croire en leur sincère recherche du candidat consensuel...

Une fois encore, le conclave du Conseil de la Choura, instance suprême de la décision nahdhaouie, réuni le week-end dernier, a choisi de s'accorder encore une «petite semaine ou quelques autres jours de réflexion», selon un de ses dirigeants, Houcine Jaziri, sur les ondes de Mosaïque FM, avant de décider s'il y a une consigne de vote pour le deuxième tour de la présidentielle du 21 décembre 2014.

Comprendre les nouvelles logiques

Pour l'ancien secrétaire d'Etat à l'Emigration et aux Tunisiens à l'étranger, «Ennahdha, comme toutes les autres formations politiques, a besoin de temps avant d'arrêter sa décision finale, car les choses ne sont pas aussi claires et aussi nettes qu'on pourrait le penser. Le paysage politique a beaucoup changé depuis les élections législatives du 26 octobre dernier. Le premier tour de la présidentielle lui-même a également compliqué les affaires et balayé nombre de certitudes. Nous devons donc tenir compte de toutes ces nouvelles données, de tous ces changements qui étaient imprévus. Le Conseil de la Choura travaille à présent à la compréhension de toutes ces nouvelles logiques. C'est pour cela que souhaitons prendre plus de temps avant de nous prononcer».

M. Jaziri n'en démordra pas: «Nous refusons de nous jeter à l'eau comme cela: jusqu'à preuve du contraire, la direction de notre mouvement a été neutre, lors du premier tour de la présidentielle, et jusqu'à nouvel ordre aussi nous continuerons à être à égale distance de deux candidats, au second tour – et nous faisons cela que par souci de préservation des intérêts suprêmes de notre pays. Si les bases de notre parti et si certains de nos militants ont cru bon choisir de s'engager aux côtés d'un candidat, au premier tour, cela a été un choix individuel, libre et indépendant. Nos partisans ne sont des troupes auxquelles la direction de notre parti donnerait des ordres. Ce ne sont pas un troupeau... Leurs voix ne se bradent, ne s'achètent pas, ni se vendent. Ils ont été massivement attirés par un discours (celui de Moncef Marzouki, NDLR) plutôt que par un autre (celui de Béji Caïd Essebsi, BCE). Nous n'y pouvions rien».

Souhaitant «courir les deux lièvres» du 2e tour de la présidentielle à la fois, Ennahdha, par la voix de M. Jaziri, avoue se reconnaître dans leurs deux discours: «Nous nous retrouvons dans le discours de M. Marzouki, qui souhaite servir les objectifs de la Révolution. Et nous sommes d'accord avec M. Caïd Essebsi lorsqu'il promet d'œuvrer au rétablissement de l'autorité de l'Etat et au respect de ses institutions. C'est pour cette raison, également, que nous avons du mal à trancher. Il reviendrait donc aux deux candidats de clarifier encore plus, et d'expliquer encore plus, leurs projets... D'ailleurs, nous espérons qu'ils puissent élever un peu plus le niveau de leur confrontation, pour que celle-ci soit un débat de grandes idées – et non pas l'occasion d'un échange d'accusations et d'insultes».

Face à la magie de BCE

Non, assurément non, si Ennahdha tarde à choisir, c'est tout simplement parce qu'il ne compte pas choisir. Usé comme il est par les législatives du 26 octobre 2014, qui lui dictent désormais de jouer les seconds rôles, le parti islamiste ne souhaite pas «tendre l'autre joue»: le camouflet que lui a administré Nidaa Tounes, une formation improvisée «en deux temps-trois mouvements» par un magicien appelé Bajbouj, peut faire craindre aux islamistes une deuxième défaite aussi cuisante que la première...

Les observateurs attendront, donc, cette «autre semaine de réflexion» dont le Conseil de la Choura a besoin pour qu'il vienne nous dire, une fois de plus, qu'il reviendra, le 21 décembre 2014, au «peuple nahdhaoui» de déterminer librement et comme il l'entend, en son âme et conscience, qui de Moncef Marzouki ou de Béji Caïd Essebsi mérite d'être le futur président de la République de Tunisie.

Entretemps, les stratèges de Montplaisir auraient fait monter les enchères, tenu la dragée haute à l'un et l'autre candidat à la présidentielle et pourraient éventuellement sauver la face.

Dans ce jeu-là d'Ennahdha, il semble évident que M. Marzouki est nettement plus vulnérable que M. Caïd Essebsi: le Congrès pour la République (CpR), le parti du président sortant, a quasiment été laminé et un échec à la présidentielle signifierait tout simplement le début de la fin de cette formation politique et le terminus où le droit-de-l'hommiste devra descendre pour ne plus reprendre le train de l'avenir...

Le président de Nidaa Tounes, quant à lui, a marqué déjà deux bons points: une majorité à l'Assemblée des représentants du peuple et la présidence du pouvoir législatif, en attendant la présidence du gouvernement.

La présidence de la République ne serait donc plus, pour BCE, que «la cerise sur le gâteau» du miracle nidaaïste. Et cette cerise-là, elle serait bonne à déguster...

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