Pour ma part, j’étais persuadé que la relève était assurée et je le criais à qui voulait l’entendre. Je le voyais dans les yeux de notre jeunesse frustrée, avide de liberté et d’idéaux.
Cette jeunesse qui continuait à fredonner les chants révolutionnaires (tunisiens ou autres) en chœur avec les ainés rescapés d’une autre jeunesse (post soixante-huitarde), celle-là même qui mena le combat des années soixante-dix et des décennies suivantes.
Les préjugés démentis
Cette jeunesse représentative de l’ensemble du pays du nord au sud, d’est en ouest, des villes et des zones rurales, des banlieues chics et des quartiers populaires, a démenti tous les préjugés et autres représentations ravageuses colportées à leur encontre.
Non, le football n’a pas gommé leur intelligence intuitive, le gel sur les cheveux n’a pas pollué leurs cerveaux, la musique tapageuse n’a pas assourdi leurs consciences et l’intégrisme ne les a pas tous bouffés !
Le jour du 14 janvier, aboutissement d’une insoupçonnable et merveilleuse révolution, allumée par l’inoubliable Mohamed Bouazizi, devenu figure emblématique d’une révolte née dans les fières contrées de nos campagnes oubliées, déshéritées et rejetées dans l’ombre par le règne d’une tyrannique dictature (merci Sidi Bouzid et Kasserine).
Cette révolte qui, très vite, a fait le tour du pays, jalonnant de martyrs (tombés pour la patrie) le chemin vers Tunis pour s’accomplir en apothéose sur l’avenue Bourguiba, en face même de la bâtisse du ministère de l’Intérieur (le comble pour le superflic Ben Ali !).
Ils étaient tous là…
Le peuple entier était là lorsque l’Histoire se déroula comme un parchemin, toutes époques confondues et l’on pouvait facilement reconnaître, dans cette fougueuse foule, les figures de Jugurtha, d’Elissa, d’Hannibal, d’El Kahéna, d’Al Jaziya, d’Ibn Khaldoun, d’Ibn Abi Dhiyaf, de Kheireddine, de Ben Ghdhahem, de Ben Achour, de Chebbi, de Haddad, de d’El Hammi, de Hached, bref, ils étaient tous présents à cet instant salutaire, dans l’inconscient de chaque tunisien.
Eh oui, ce n’est pas une bagatelle trois mille ans d’histoire! Quelle brassée ce breuvage venu des abysses du temps, qui a l’odeur du soufre, le goût de la lave et la force d’un volcan: tel est le peuple tunisien, tels sont mes compatriotes chaque fois qu’ils prennent rendez-vous avec l’Histoire.
Ghazi Abroug, Hammam-lif