Charles Crettien, ancien ambassadeur de France, estime, dans un point de vue publié par ‘‘Le Monde’’, que la nomination du nouvel ambassadeur de France en Tunisie est «choquante». Voici son analyse…
On ne nomme pas un ambassadeur comme on nomme un préfet. La diplomatie est un dialogue avec un pays étranger, son gouvernement et son chef d’Etat. La nomination de Boris Boillon comme ambassadeur de France en Tunisie par le conseil des ministres du 26 janvier est la négation de ce principe élémentaire, elle est donc choquante voire dangereuse pour les relations à venir entre Paris et Tunis.
Quand le gouvernement français envisage de nommer un nouvel ambassadeur dans un pays donné la première démarche est celle de la demande d’agrément. En clair, l’ambassadeur partant, ou le chargé d’affaires s’il n’y a pas d’ambassadeur en place, propose au ministre des Affaires étrangères du pays auprès duquel il est accrédité le nom et le CV du diplomate proposé par Paris pour lui succéder. On attend l’accord des plus hautes autorités du pays étranger avant de proposer au conseil des ministres la nomination du nouvel ambassadeur. J’ai connu des cas où le pays étranger émettait des réserves sur le candidat désigné, on avait alors proposé un autre diplomate en mesure de mener un dialogue utile. Précisons qu’un dialogue ne veut pas dire l’approbation sans nuance de la politique menée dans le pays étranger.
Revenons à Boris Boillon. Il n’y avait pas encore de gouvernement à Tunis, le 26 janvier, puisque le remaniement réclamé par les Tunisiens n’était pas encore intervenu. A qui a-t-on demandé l’agrément pour Boris Boillon? De plus, personne n’est en mesure de dire qui sera le chef de l’Etat tunisien demain, intérimaire dans un premier temps, définitif après les élections tunisiennes. Et si ce nouveau chef de l’Etat tunisien n’apprécie pas d’avoir comme interlocuteur français un diplomate dont on sait qu’il a défendu l’intervention américaine en Irak! Passons sur son âge puisque sous M. Sarkozy l’expérience peut être acquise très tôt, surtout quand on a été un collaborateur du dit Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur ! Et si le nouveau chef de l’Etat tunisien refusait, demain, de recevoir les lettres de créance de M. Boillon?
La nomination précipitée à Tunis de ce diplomate venant de Bagdad où il n’était en poste que depuis 18 mois est encore une faute. Décidément nous les accumulons avec ce pays et, surtout, nous mettons en danger les relations entre la France et cette Tunisie nouvelle que l’on devine déjà au travers des soubresauts de la révolution du jasmin.
* Charles Crettien a été ambassadeur de France auprès des Emirats arabes unis, en Somalie, en Colombie et au Guatemala. Conseiller culturel et de coopération à Tunis de 1978 à 1981, il a publié des ‘‘Les Voies de la diplomatie. Affaires étranges…’’ (L’Harmattan, Paris, 2010).