Tunisien résident, Ridha Neffati est avocat aux Barreaux de Paris et de Tunisie. Il présente ici une réflexion sur la future diplomatie tunisienne suite à la révolution de la dignité.
L’idée d’écrire ces mots est inspirée d’une inquiétude et d’une frustration nées du visionnage de l’émission télévisée de dimanche 6 février dernier.
Monsieur Ahmed Ounaïes, ministre des Affaires étrangères, en était l’invité. Il devait évoquer la vision diplomatique du gouvernement de transition.
Dès sa nomination au gouvernement, j’ai estimé, comme beaucoup d’autres qui connaissaient l’homme, que ce portefeuille lui avait été confié à raison.
Je connaissais, en effet, les qualités de celui qui fut mon ancien professeur de relations internationales, notamment dans son expertise en relations tuniso-européeenes.
Pour une métamorphose immédiate
En revanche, j'ai malheureusement constaté que M. Ounaïes n’a exposé aucun projet diplomatique, à court ou à moyen terme pour la Nouvelle Tunisie Libre.
Je ne peux me permettre de donner de leçon à mon professeur, cependant, je ne peux laisser mon opinion personnelle logée en moi, dans la mesure où il en va de l’intérêt de mon pays.
La visite éclair du ministre à Bruxelles puis à Paris a pu démontrer une certaine continuité dans la méthode de travail, une diplomatie sans perspective, sans stratégie, terne.
Cette approche diplomatique, certes courte dans la durée, dont l’intelligence diplomatique sous-jacente – garder des rapports privilégiés avec nos partenaires – fut déviée par une flagornerie à outrance. Elle n’était à aucun moment à l’image de la révolution.
Or notre diplomatie a plus que jamais besoin d’une métamorphose immédiate car l’intérêt et la profonde sympathie suscités aujourd’hui dans le monde entier par la révolution risquent de se perdre sans que la Tunisie n’en ait tiré les nécessaires dividendes.
Quelle diplomatie? Se réinscrire dans la continuité de l’ancienne cadence diplomatique? Ou adopter une nouvelle doctrine en conformité avec les valeurs de la Tunisie libre?
J’ai tenté de procéder à un arbitrage de ces deux problématiques, mais j’ai constaté que la mission était impossible, le risque encouru était de priver notre diplomatie de plusieurs opportunités actuelles et factuelles.
Quand l’Amérique applaudit la révolution tunisienne
La conciliation ne peut se faire sans tourner le dos, même partiellement, aux valeurs transmises par la révolution des Tunisiens. L’action diplomatique se trouve nécessairement «piégée» elle aussi par les valeurs intrinsèques de dignité.
Mais la dignité peut-elle exister en diplomatie? Un domaine ou l’habileté, l’adresse, la souplesse, la prudence sont les fondamentaux de la représentation de la politique d’un Etat à l’étranger.
Encore une fois je me suis compliqué la tâche. Pour tenter d’avancer, j’ai immédiatement cherché la définition du mot «dignité» dans le dictionnaire (Larousse): «Respect que mérite quelqu'un ou quelque chose ; Attitude empreinte de réserve, de gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité…»
A l’évidence, cette définition démontre que la dignité peut s’installer aisément et durablement dans le processus diplomatique.
Les membres du Congrès américain ne se sont-ils pas levés pour applaudir le peuple tunisien lors du discours de l’état de la nation du président Obama à l’évocation de la révolution tunisienne?
Ils avaient en réalité applaudi la dignité de ce grand peuple, qui cherchait à accéder au statut d’homme Libre.
La diplomatie tunisienne ne doit-elle pas capitaliser sur cet élan de sympathie pour accéder à un statut qui lui reviendrait de droit compte tenu de ce que le tunisien est parvenu à réaliser en quelques jours: briser pacifiquement les chaînes de sa soumission?
Nécessairement, la Tunisie devra retrouver une place majeure dans le nouvel échiquier diplomatique. Elle a déclenché un mouvement qui prône la liberté, la démocratie, la dignité: ce sont ses valeurs éternelles, celles de la république carthaginoise.
La Tunisie, partenaire stratégique dans un nouveau monde
La Tunisie a investi aujourd’hui dans ces valeurs universelles de l’homme, certes, elle n’a pas encore réussi à les transformer en acquis, mais le mouvement de liberté est désormais irréversible, le peuple tunisien ne peut désormais accepter d’être confronté de nouveau au désespoir.
La diplomatie tunisienne a aujourd’hui un grand rôle à jouer sur la scène internationale pour donner un nouveau souffle à son action. Il faut l’aider afin qu’elle puisse accéder immédiatement à son nouveau statut à l’échelle arabe, africaine, voire mondiale.
Ce rôle n’est pas nouveau pour le pays, la position de la Tunisie dans les plus grands conflits du monde contemporain est imprégnée par la sagesse et une vision stratégique qui avait pour but d’installer une paix durable.
L’expérience révolutionnaire tunisienne, affichée comme un mouvement de liberté, méritera d’être confortée.
La diplomatie représente indiscutablement la meilleure opportunité offerte aux pays amis qui prônent la liberté pour appuyer notre Etat à se positionner comme le partenaire stratégique dans un nouveau monde dont les populations accentuent leurs revendications de justice sociale et de démocratie.
La réussite de l’expérience révolutionnaire tunisienne sera le meilleur exemple et non le modèle pour des pays qui cherchent par tous moyens à se libérer pacifiquement.
Les peuples de la région souhaitent profiter du sillage de cette révolution de la dignité, la réussite finale de l’expérience tunisienne devra rassurer les sceptiques.
Compter désormais sur la société civile
Le monde ne doit pas avoir peur de la Tunisie libre, dont la révolution est saine, spontanée, le peuple souhaitait retrouver sa dignité.
La diplomatie tunisienne ne peut désormais attendre la fin de la période de transition pour asseoir une nouvelle stratégie diplomatique, le capital sympathie envers la Tunisie existe aujourd’hui, existera encore dans un mois ou deux, mais subsistera t-il avec la même intensité dans six mois, à la fin de la période transitionnelle du gouvernement?
La révolution tunisienne n’a jamais été basée sur une idéologie particulière ou même alimentée par des mouvances extrémistes, les jeunes de Sidi Bouzid, de Bouzaiene, de Regueb, de Thala, de Kasserine, de Bizerte et des autres villes, n’avaient scandé aucun slogan qui pourrait alimenter les doutes de certains fatalistes ou pessimistes.
Cette révolution en marche depuis son déclenchement devra être consolidée pour qu’elle ne soit pas récupérée, la vigilance des Tunisiens est donc nécessaire.
La diplomatie tunisienne a la possibilité de jouer un grand rôle aujourd’hui, loin de la gestion des affaires courantes de la transition, mais doit réfléchir immédiatement à asseoir une nouvelle doctrine diplomatique de la Tunisie libre.
Elle pourra compter notamment sur la société civile pour l’aider dans ce nouveau processus diplomatique qui passera nécessairement par une rupture avec les vieux réflexes incompatibles avec le nouveau mouvement de liberté, avec le nouveau statut international de la Tunisie, mais surtout avec la dignité retrouvée de tout un peuple.