La Tunisie est sortie de la dictature le 14 janvier. Mais les blessures ne se refermeront pas sans passer par la case «vérité» sur ce qui s’est passé. Une opinion de notre collègue Samir Gharbi.


La Tunisie, comme l’ont déjà fait une trentaine d’autres pays dans le monde, se doit de constituer une Commission de la vérité et de la réconciliation (Cer) ou, comme ce fut le cas au Maroc, une Instance Equité et Réconciliation (Ier). Pourquoi?

 

Condamner chacun selon ce qu’il a fait
Le débat sur la présence ou non d’anciens membres du régime Ben Ali dans le gouvernement de transition a été tranché de manière forte avec le démantèlement du sit-in populaire à la Kasbah. Mais les rancœurs et les interrogations demeurent et demeureront à jamais dans les esprits. Outre les trois commissions qui ont été chargées de proposer des réformes et de trier les plaintes contre l’ancien régime (avant de les passer à la Justice), il faut que les responsables politiques, les hommes d’affaires, les juges, les avocats et autres, bref, tous ceux qui ont participé de loin et de près au maintien de l’ancien régime, voire à sa prospérité, se confessent et «vident» ce qu’ils ont sur leur cœur. C’est bien pour eux et c’est bien pour la Tunisie entière afin que l’on dise «plus jamais la dictature». Si parmi les responsables, il y aura des coupables, c’est à la Justice indépendante de juger. Et de condamner chacun selon ce qu’il a fait.
Un Premier ministre, aussi intègre soit-il, ne peut poursuivre sa mission de refonte de la Tunisie vers la démocratie sans accomplir sa propre rédemption. C’est douloureux, mais indispensable. Mohamed Ghannouchi a été promu «ministre» par Ben Ali en octobre 1987. Depuis, par devoir, il a servi Ben Ali jusqu’au 14 janvier. Et il a même dit avoir du «respect pour lui» quand il a accepté de lui parler au téléphone après son départ.
Personne ne comprend pourquoi Ghannouchi s’accroche au pouvoir. Est-ce pour servir l’intérêt national d’une autre manière? Pour se refaire une virginité politique? Ou pour éviter l’effondrement total du système Ben Ali qui, on le sait aujourd’hui plus qu’hier, a mis sous sa tutelle des centaines de milliers de Tunisiens dans toutes les professions, dans toutes les régions et dans toutes les hiérarchies.

Se libérer du lourd poids du passé
J’ai parlé de M. Ghannouchi, mais je peux aussi parler de Mohamed Nouri Jouini. Ce dernier, intègre et compétent, a fait, il ne faut pas oublier, ses premières armes à l’intérieur même du Palais de Carthage, comme conseiller, membre du fameux «Shadow Cabinet». Lui aussi se doit de faire sa «confession» devant la Commission Vérité et Réconciliation (Cvr). Il se libèrera du lourd poids du passé et pourra ainsi mieux servir la Tunisie avec un cœur léger.
La Tunisie qui a fait sa Révolution devra faire recouvrer sa mémoire pour mieux bâtir son présent et son avenir. Elle devra suivre l’exemple de l’Afrique du Sud après l’apartheid, de l’Allemagne après Hitler, du Maroc après Hassan II, du Pérou, du Guatemala, etc.
La Cvr ou Ier sera chargée de recenser toutes les violations des droits de l’homme et du droit tout court afin de permettre une réelle réconciliation nationale.