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«S'il y a un héritage d'espoir que l'administration Obama peut sauver dans le monde arabe, c'est bien en Tunisie que cette opération de sauvetage pourra se réaliser.»

Par Vance Serchuk (Traduit de l'anglais et présenté par Moncef Dhambri)

Le 'Washington Post' ('WP') emboite le pas, cette semaine, à nombre d'autres médias américains pour appeler l'administration Obama et ses alliés occidentaux à mettre la main à la poche et à passer, au plus vite, de la parole élogieuse aux actes concrets qui feront la différence entre la réussite et l'insuccès de l'expérience tunisienne.

Sous le titre ''Give democratic Tunisia the U.S. support it needs and deserves'' (Accorder à la Tunisie démocratique le soutien dont elle a besoin et qu'elle mérite), le commentateur Vance Serchuk (1), chercheur principal associé au Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS, en anglais) (2), avertit que, malgré le bon chemin parcouru et les réussites réalisées, l'avenir de la démocratie en Tunisie n'est pas totalement à l'abri. «Face à la nouvelle phase qui sera difficile et potentiellement périlleuse pour la Tunisie (...), les Etats-Unis devront, de toute urgence, faire montre d'un plus grand soutien et d'une plus grande attention», écrit notamment Vance Serchuk.

Nous reproduisons, ici, la traduction de très larges extraits de cette analyse.

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Un hommage particulier

«La Tunisie est considérée, à juste titre, comme étant l'unique success story du Printemps arabe: il s'agit, de fait, du seul pays qui a réussi à mener à bon port un de ces soulèvements de 2011 et à mettre sur pieds une véritable démocratie multipartite. Cependant, l'avenir de la liberté en Tunisie est loin d'être assuré.

(...) Chaque fois que vous interrogez les Tunisiens, ils vous débitent la même litanie de défis qui menacent, à tout instant, de mener la transition de leur pays à la dérive. Ils évoquent, entre autres dossiers pressants, la réforme d'une économie qui n'a su générer que peu d'emplois et la menace constante de groupes terroristes comme Ansar Al-Charia. Et ils vous parlent aussi des effets négatifs que peuvent avoir l'échec de l'Etat en Libye voisine ou les éventuelles retombées de la crise syrienne.

Cependant, le dossier le plus brûlant auquel la Tunisie fait face demeure indéniablement celui de l'attitude qu'adopteront les nouveaux responsables tunisiens (c'est-à-dire le parti de Nidaa Tounes, vainqueur des dernières législatives et présidentielle, NDLR) et l'étendue de leur engagement envers les principes démocratiques, les droits humains et une gouvernance inclusive et tolérante.

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Passation du pouvoir entre Marzouki et Caïd Essebsi, le 31 décembre 2014.

Tels ont été les maîtres-mots de l'exception tunisienne depuis 2011 grâce à, dans une très large mesure, aux partis et aux personnalités qui ont dirigé les affaires du pays pendant le processus transitionnel.

Un hommage tout particulier doit être rendu à Ennahdha, le parti islamiste modéré qui a remporté les premières élections libres tunisiennes, il y a trois ans.

A l'époque, l'on doutait que les islamistes (tunisiens, NDLR) puissent respecter les règles démocratiques.

Cependant, en contraste frappant avec le comportement des Frères musulmans en Egypte, les dirigeants d'Ennahdha ont réussi cette épreuve haut la main. Au lieu de se laisser tenter par la facilité opportuniste du renforcement de sa position, Ennahdha a opté pour un partage du pouvoir, en formant notamment une coalition gouvernementale qui a associé à la direction des affaires du pays des partis laïcs (Ettakatol et le Congrès pour la République, NDLR). Egalement, au lieu de n'en faire qu'à sa tête et d'ignorer tout simplement l'opposition lors de la rédaction de la nouvelle constitution, il a accepté les compromis et choisi de faire des concessions, respectant en cela les revendications de la société civile et les principes de la liberté des médias et de l'indépendance de la justice.

Plus important encore, Ennahdha a entrepris ce qu'aucun autre parti islamiste n'a jamais osé faire: il a quitté le pouvoir de manière pacifique – partant de cette conviction de son président Rached Ghannouchi que la véritable démocratie signifie qu'aucun parti n'a le droit de dominer la société et qu'il est impérativement nécessaire de trouver un terrain d'entente avec les adversaires politiques. L'alternative serait la guerre civile ou l'instauration d'un régime autoritaire (...)

Première priorité à la Tunisie

Les laïcs tunisiens (de Nidaa Tounes, NDLR) feront-ils preuve des mêmes retenue, tolérance et esprit inclusif que les islamistes d'Ennahdha ont respectés?

Il faudra attendre de voir la tournure que les choses prendront (avec la nouvelle donne politique, à présent que Nidaa Tounes est au pouvoir, NDLR). L'aspect crucial de cette question a beaucoup moins à avoir avec le nouveau président tunisien, Béji Caïd Essebsi – l'homme qui a dirigé le pays avec une très grande compétence durant les premiers mois tumultueux de la période postrévolutionnaire et qui, dans son discours inaugural, a lancé un message rassurant dans lequel il a appelé à l'unité nationale –, mais plutôt avec d'autres personnalités nidaaïstes dont le sens démocratique pourrait être moins développé.

De plus, nombre de Tunisiens, toutes allégeances politiques confondues, n'hésitent pas à exprimer des craintes que certains pays du Golfe qui avaient soutenu des campagnes anti-islamistes dans la région peuvent à présent être tentés d'offrir leur aide à la Tunisie en échange d'un dé-tricotage de la démocratisation du pays (...).

Même si l'optimisme continue de prévaloir en Tunisie et que tout le monde s'accorde à dire qu'une régression autoritaire n'a aucune chance d'avoir lieu dans le pays, l'histoire des révolutions appuie le point de vue selon lequel ce risque ne saurait être totalement exclu. L'itinéraire de la Russie post-soviétique et celui plus récent de la Géorgie sont des cas à méditer.

En fin de compte, s'il est vrai que le destin de la Tunisie ne sera déterminé que par les Tunisiens eux-mêmes, il demeure tout aussi évident que les puissances démocratiques ont un intérêt vital à ce que cette unique prise de pied d'une décente gouvernance pluraliste dans la région du Moyen Orient et de l'Afrique du nord arabe soit renforcée. S'il y a un héritage d'espoir et de changement que l'administration Obama peut sauver dans le monde arabe, c'est bien en Tunisie que cette opération de sauvetage pourra se réaliser – et les prochains mois seront d'une importance cruciale.

Tout d'abord, les hauts responsables de l'administration et des membres du Congrès américain devront accorder une priorité première à la Tunisie – en dépit de l'existence de multiples crises qui exigent aussi leur attention. Ils peuvent tout simplement commencer par se rendre en Tunisie – et pareilles visites peuvent représenter un signal fort au nouveau gouvernement que les Etats Unis sont disposés, au vue des réalisations uniques des Tunisiens, à étendre de manière très importante le partenariat américain avec leur pays, bien évidemment, tant qu'il ne déviera pas de la voie démocratique.

Il y aurait un sérieux problème

Il est tout aussi important d'établir des contacts avec Ennahdha et la société civile tunisienne afin de les rassurer que les Etats Unis reconnaissent leur contribution historique au progrès de la Tunisie et qu'ils veilleront toujours de très près sur le traitement qui leur sera réservé par le nouveau gouvernement. Et nous devrons également insister auprès de nos alliés européens à ce qu'ils fassent parvenir à Tunis le même message.

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Obama a invité Caïd Essebsi pour une rencontre à la Maison blanche dont la date reste à déterminer (ici, la première rencontre entre les deux hommes en 2011).

Enfin, les Etats Unis devront également proposer à la Tunisie un soutien pluriannuel dans les domaines de l'économie, la sécurité, le commerce et la gouvernance – y compris des investissements à faible coût et à rendement potentiellement élevé dans les nouvelles institutions démocratiques tel que le parlement.

Bien que les Etats Unis aient su trouver des moyens créatifs pour aider la Tunisie depuis 2011, ces efforts ont été de faible envergure. L'année dernière par exemple, dans les ressources demandées au titre du projet de budget de l'administration Obama, la Tunisie ne figurait qu'au 9e rang parmi les bénéficiaires de l'aide bilatérale dans la région du Moyen Orient et l'Afrique du nord – exactement à la même position qu'elle occupait un an avant la révolution.

Il y aurait donc un sérieux problème si les choses ne changeaient pas.

Pendant les trois dernières années, les islamistes d'Ennahdha ont démontré qu'ils étaient des gestionnaires responsables de la société libre tunisienne. L'heure est venue, aujourd'hui, pour les laïcs (de Nidaa Tounes, ndlr) de faire autant – et pour les Etats Unis, et nos alliés démocratiques, d'aider la Tunisie entière à réussir».

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Bien évidemment, les propos de M. Serchuk n'engagent que sa personne et l'équipe du ''Washington Post'' qui a publié son analyse. Nous ne lui contesteront nullement le droit de croire que les Nahdhaouis sont des islamistes modérés, qu'ils ont accepté tout au long de la période de transition de faire des concessions ou qu'ils ont fait montre de responsabilité dans la gestion des affaires tunisiennes pendant la transition, etc.

Sans avoir à reprendre point par point cette réflexion pour en démontrer les faiblesses et lacunes (très nombreuses), nous nous permettrons de rappeler le détail important qu'Ennahdha n'a pas quitté le pouvoir de «gaité de cœur», mais qu'il a été contraint et forcé par la rue – et cette mise hors-jeu a été confirmée par les législatives d'octobre 2014.

Donc, ce qui a fait la «modération» nahdhaouie ce n'est pas tant le bon vouloir de Rached Ghannouchi mais la modération des Tunisiens, qui n'ont plus cru que «des hommes et des femmes honnêtes qui craignent Dieu» peuvent faire bon ménage avec une véritable démocratie.

Il y aurait tant d'autres remarques à faire...

Notes:
(1) Vance Serchuk est chercheur principal associé au CNAS. Depuis août 2013, il a occupé la fonction de directeur exécutif au sein du KKR Global Institute, un fonds d'investissement américain basé à New York, l'un des plus anciens et des plus importants au monde. Auparavant, il a servi pendant 6 ans à la fonction de conseiller principal en politique étrangère du sénateur indépendant Joe Lieberman et en tant que membre professionnel du Comité sénatorial des Etats-Unis en charge de la sécurité intérieure et des affaires gouvernementales.
(2) Le think tank Center for New American Security (CNAS) se définit comme «une organisation indépendante, sans but lucrative ou affiliation politique qui œuvre au développement de politiques de défense et de sécurité nationale fortes, pragmatiques et à principes».

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