Catherine Ashton est passée par Tunis mais son attention paraissait bien plus centrée sur l’Egypte et en arrière-fond le conflit avec Israël. Elle n’a pas été avare en «mots doux» sur la révolution tunisienne: «L’UE est l’allié le plus puissant du peuple tunisien dans la direction de la démocratie».
Dans les faits, le soutien européen a paru d’emblée chiche. 258 millions d’euros pour le programme d’aide classique, plus 17 millions d’euros en aides exceptionnelles. L’UE promettait un formidable coup de pouce mais elle n’a concédé qu’une rallonge de 18 millions d’euros pour la coopération classique, le programme indicatif national (Pin, 2011-2013). Le précédant Pin, triennal également, doté de 330 millions d’euros, avait été raboté pour punir le régime Ben Ali. La Tunisie démocratique n’aura même pas bénéficié d’un semblant de rattrapage.
Qui faut-il blâmer?
Les 17 millions d’euros: sont-ils en sus, ou compris dans le total. On ose croire que les services de Mme Ashton ne se sont pas livrés à un tour de passe-passe comptable. Mais que représentent les 17 millions au regard des besoins urgents: préparer les élections, secourir les personnes touchées par les récents évènements et, enfin, soulagement urgent pour les régions «tombées du camion» de l’ère du 7-Novembre.
Qui faut-il blâmer, l’Europe ou nous-mêmes? L’UE, en partie, avec cependant une reconnaissance de ses circonstances atténuantes. L’une, est que la révolution tunisienne a déclenché une libération des esprits au sein du monde arabe. Bruxelles doit donc s’attendre à des demandes financières pressantes de pays qui sont dans un état bien plus lamentable que le nôtre, l’Egypte en premier lieu, géostratégiquement plus utile pour l’avenir d’Israël. La Jordanie, l’Algérie, le Yémen, peut-être la Syrie sans compter la Libye dont l’outrecuidance va jusqu’à réclamer beaucoup d’argent pour contenir comme un vulgaire « flic » les migrants sub-sahariens. La deuxième circonstance atténuante tient à la faiblesse de la diplomatie commune européenne qui peine à se mettre en place.
La troisième est sans doute dans le fait que nous n’avons pas su la rassurer et l’épisode Ounaïes – un ratage historique – pèsera dans la suite des évènements. Que de temps perdu qui ne nous a pas permis de capitaliser sur la sympathie déclenchée par la «révolution de la dignité».
Savoir comment nous rattraper
Le grand ratage global aura été celui des affaires étrangères, le visage le plus visible de la Tunisie. Il aurait fallu changer d’urgence tous les ambassadeurs pour éviter de présenter à nos partenaires les mêmes têtes que celles d’hier. Ce qui importe, pour l’heure, n’est pas de réécrire l’histoire mais de savoir comment nous rattraper. Avant qu’il soit trop tard.
D’abord, soyons sérieux, soyons vigilants. Critiquer l’Europe? Inutile. C’est la seule recommandation à faire au regard de la situation en cours et des commentaires parfois entendus sur le rôle de l’Europe, passé, présent et futur. Nous lui prêtons à l’UE un rôle qui n’est pas le sien, qui ne saurait être le sien. Elle est, par plusieurs de ses Etats membres, notre voisin immédiat, notre principal fournisseur de produits et même d’emplois délocalisés. Son marché est le principal débouché pour les produits de nos industries, pour notre secteur des services et dans la compétition ouverte dans l’accès à son marché, nos entreprises se font les dents et apprennent, par l’expérience, à devenir encore plus compétitives. Plus que le marché, des acquis historiques humains nous lient (liens tissés par l’Histoire et présence en Europe d’une population mixte, double nationalité, couples mixtes et leurs enfants). Nous partageons en commun le souci de l’environnement, des équilibres démographiques, etc., tout ce qui détermine la vie des gens, ici et là.
Cette «intimité» avec l’Europe autoriserait-elle celle-ci à s'ingérer dans nos pays (Maghreb) à nous dicter nos conduites, politiques, économiques et sociales? Absolument non. La pratique à promouvoir est celle du partenariat, du «co-développement». Nous avons intérêt à coopérer avec l’Europe, elle a intérêt à coopérer avec nous. Organisons cet intérêt mutuel dans un cadre hors de tout choix préfabriqué.
Pour achever notre révolution
Obnubilés par la question des «droits de l’Homme» à la sauce Rcd, nos diplomates, nos gouvernants ne se sont pas donné la chance de creuser dans cette voie. L’UE, méfiante, n’a pas fait davantage. .
Mais nous ne devons pas ignorer l’extraordinaire sympathie provoquée en Europe, même légitimement teintée d’inquiétude (ne sommes-nous pas inquiets nous aussi?). Calmons-nous, calmons nos partenaires, rassurons nos voisins et amis. Il nous faudrait agir pour permettre à la transition de réussir et parer à l’urgence. Que ceux qui ont la tâche de revoir la loi électorale pressent le pas. Pour le reste, chaque chose en son temps.
Qu’on le veuille ou non, nous avons besoin et aurons encore plus besoin d’investisseurs étrangers et tunisiens (encore faut-il leur assurer qu’ils travailleront en toute quiétude, qu’ils n’auront pas à se confronter d’emblée à une revendication sociale, légitime certes, mais malvenue dans un immédiat marqué par le besoin de redresser le pays. Dans le social, la tâche la plus pressante serait de travailler sur la démocratie dans l’entreprise, de promouvoir un modèle plus juste moins dans la prédation. J’invite à réfléchir et à débattre sur ce que l’on appelle «l’économie sociale» qui permettrait des créations d’emplois, sauf que ce seront les chômeurs qui créeront leurs emplois, aidés au besoin. Nous avons détesté le mot «coopérative» comme nous avons presque failli être dégoutés du mot «démocratie» tant il a été galvaudé. Mais redonnons aux mots leurs sens et prêtons plus attention aux contenus et aux pratiques qu’ils nous suggèrent.
Pour achever notre révolution, déclenchons-là en nous-mêmes maintenant, chacun dans sa pratique de tous les jours: respect de l’autre, de ses opinions, des délais et des promesses. La parole donnée doit redevenir sacrée. Sachons dire non aux petits «coup de pouce» backchichés directement ou non même à notre désavantage. Si nous devenions ainsi sérieux, tout le monde nous prendra au sérieux, l’Europe pour commencer.
*Journaliste / Bruxelles.