Par Moncef Dhambri
Yassine Brahim, président d'Afek Tounes, a expliqué hier les raisons pour lesquelles son parti, qui compte 8 sièges à l'Assemblée, a refusé de faire partie du gouvernement d'Habib Essid: mettre dans cette équipe trop d'indépendants et peu de politiques ne permettra pas d'entreprendre les réformes fondamentales dont le pays a besoin de toute urgente.
Les politiques au second plan
Bouclant, vendredi 23 janvier 2015, sur Nessma TV, son long marathon explicatif de la décision d'Afek Tounes de claquer la porte en retirant ses candidatures à des portefeuilles ministériels dans le nouveau gouvernement, Yassine Brahim a notamment insisté sur la timidité et le minimalisme politiques des choix de M. Essid.
Pour lui, Afek Tounes ne pouvait pas accepter cette disproportion flagrante d'environ 70% contre 30% en faveur des figures indépendantes – et donc, au détriment de sensibilités politiques. Cette option laisserait ainsi, selon M. Brahim, une marge de manœuvre très restreinte pour des partis politiques qui, comme Afek Tounes, se sont tués à la tâche, durant la campagne des législatives, à préparer des programmes électoraux et à expliquer aux électeurs qu'ils mettront en œuvre «tout et tout de suite» pour sauver le pays.
Les Afekiens, de l'aveu de M. Yassine Brahim, auraient remarqué, dès le début des tractations sur la distribution des portefeuilles, ce vice de procédure, mais ils ont préféré accorder plus de temps à M. Essid pour lui permettre d'opérer les ajustements nécessaires et corriger cette trajectoire qui donne la priorité à «l'indépendance» et sacrifie le programme.
Cette négligence du programme, c'est-à-dire le refus d'entreprendre les grandes réformes ou de les reporter et cette hésitation à lancer les grands chantiers, serait donc à l'origine de la réticence initiale d'Afek Tounes qui, au bout du parcours, mercredi et jeudi, s'est transformée en un coup d'éclat, d'autant plus qu'à chaque rendez-vous avec M. Essid, explique M. Brahim, les offres ministérielles faites à son parti se réduisaient comme une peau de chagrin – pour en arriver à 1 secrétariat d'Etat. Trop peu pour le poids parlementaire d'Afek Tounes! Trop peu pour son engagement franc et inconditionnel derrière la candidature présidentielle de Béji Caïd Essebsi (BCE)!
Pouvait-il en être autrement? Nidaa Tounes et M. Caïd Essebsi avaient-ils d'autres choix face à cette impatience de Yassine Brahim et Afek Tounes, et les autres prétendants?
Les dirigeants du Nidaa ont dit et répété, à la veille et au lendemain des législatives et de la présidentielle, qu'ils n'entendaient pas gouverner le pays tout seuls – même si leur majorité parlementaire pouvait le leur permettre. Cette absolue nécessité de rechercher la plus large possible des ententes avec les autres formations politiques et autres parties de la société civile a dicté aux Nidaaïstes l'obligation de multiplier leurs contacts et consultations.
D'ailleurs, la désignation «tardive» du chef de gouvernement indiquait clairement les difficultés que BCE et ses proches collaborateurs ont éprouvées avant d'arrêter leur choix sur Habib Essid, un homme qui, grosso modo, pourrait être considéré comme étant «à égale distance de toutes les tendances politiques», selon la formule tunisienne consacrée...
Remettre les Tunisiens au travail
D'entrée de jeu donc, l'option Essid signifiait que BCE – pour appeler l'auteur de cette décision par son nom! – a joué la carte de l'indépendance du Premier ministre et reporter à plus tard les autres considérations, mêmes celles qui sont à prétention programmatique.
Traduisons: BCE, le plus fidèle des bourguibistes devant l'Eternel, a choisi de procéder par étapes.
Spéculons, aussi: si l'Assemblée des représentants du peuple donne, lundi prochain, son feu vert approbateur à l'équipe formée par Habib Essid et que la passation entre ce dernier et Mehdi Jomaa a lieu mercredi, la nouvelle équipe gouvernementale dirigée par le premier (et recevant des conseils du Palais de Carthage) se mettra à «un petit travail» qui ne produira pas de miracles...
Réparer les dégâts causés par les Troïkas 1 et 2 (la coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha) et apporter des solutions aux surplace et régression occasionnés par le gouvernement de Mehdi Jomaa – en 100 jours ou 5 années! – est une mission impossible.
La Tunisie, M. Essid et ses ministres l'expliqueront très certainement, a besoin de mettre de l'ordre dans ses affaires – beaucoup d'ordre. Les Tunisiens, insisteront-ils aussi, devront, lorsqu'ils ont la chance d'avoir un emploi, se mettre au travail... et aider comme ils peuvent à faire tourner la machine économique.
C'est sur cette discipline des Tunisiens, que l'on appelle également paix ou stabilité sociale, que Nidaa Tounes et BCE comptent en cette prochaine étape. Le reste, selon cette modeste logique de la pondération, suivra: le pays retrouvera ses équilibres, en inventera de nouveaux qui seront plus justes et plus équitables, créera des repères solides, rétablira la confiance des investisseurs nationaux et internationaux, etc.
C'est ce «chaque chose en son temps» des Nidaaïstes que M. Brahim et les social-libéraux d'Afek Tounes ne semblent pas vouloir accepter. Parions qu'ils passeront le plus clair de leur quinquennat législatif – avec leur huitaine de sièges sur un total de 217, soit un petit 3% – à expliquer devant les caméras parlementaires que Nidaa Tounes aurait dû les écouter... et qu'Ennahdha aurait dû être associé au gouvernement, etc.
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