La traque de l’argent des Tunisiens volé par Ben Ali et son clan n’est pas l’affaire du seul gouvernement. Tous les Tunisiens doivent aussi s’y associer, chacun à son niveau, avec ses moyens et où qu’il réside.
La Convention des Nations unies contre la corruption, adoptée en 2004 et signée par 140 États environ, y compris la Tunisie, stipule que les États doivent coopérer pour restituer les avoirs détournés par des dirigeants corrompus.
Paris, Genève, Bruxelles, Dubaï...
C’est en vertu de cette loi que le 16 janvier, deux jours après la fuite de Ben Ali, que Christine Lagarde, ministre française des Finances, a chargé Tracfin, la cellule anti-blanchiment de son ministère, d’alerter les banques, les notaires et les agents immobiliers, pour qu’ils signalent tout mouvement suspect sur les comptes et les avoirs (essentiellement immobiliers) détenus par Ben Ali et son entourage en France. De plus, les associations Sherpa et Transparency International France ont déposé plainte devant la justice française afin qu’elle se saisisse du dossier et puisse décider le gel des avoirs détournés et, ultérieurement, leur restitution. Le parquet de Paris a déjà demandé l’immobilisation d’un avion appartenant à l’un des membres de la famille Ben Ali, à l’aéroport du Bourget.
Le 20 janvier, la Suisse a, pour sa part, prononcé le gel immédiat de tous les actifs financiers du dictateur et de son entourage.
L’Union européenne a fait de même le 31 janvier, après une concertation entre les 27 pays membres.
Quid des fonds transférés dans les pays arabes?
Reste que l’argent du clan Ben Ali n’a pas été entièrement déposé en Europe. Seule une partie de la fortune amassée par les Ben Ali et leurs parents et alliés est en effet déposée dans les établissements financiers du Vieux continent, où ce clan possède également des biens immobiliers et autres. Une autre partie et, sans doute, plus importante, de cette fortune se trouve dans les autres régions du monde.
On pense, bien sûr, aux monarchies du Golfe, notamment Dubaï, mais aussi à la Libye, où le clan va être bientôt contraint de trouver asile, au Canada, où Belhassen Trabelsi, le frère mafieux de Leïla, l’épouse de l’ex-président, a trouvé refuge. Et, sans doute aussi, dans certains pays asiatiques et quelques paradis fiscaux où le clan avait ses habitudes, notamment Monaco et les Iles Caïman. Selon certaines sources, les Ben Ali auraient même des biens dans des pays d’Amérique Latine, notamment l’Argentine.
Il va falloir faire la lumière sur la fortune de Ben Ali (estimée à 5 milliards de dollars) et celle de son clan (que l’on imagine d’un niveau équivalent). Ce qui représenterait plus du tiers du budget de l’Etat tunisien.
En ces temps difficiles, où l’économie montre de graves signes de ralentissement, la restitution ne fut-ce que d’une partie de ce pactole à la Tunisie aidera le gouvernement de transition à répondre aux nombreuses urgences auxquelles il doit fait face: relancer l’investissement public pour créer des emplois aux chômeurs de longue durée, aider les régions de l’intérieur où règne une pauvreté extrême, reconstruire ce qui a été détruit au cours des derniers événements (écoles, établissements universitaires, et autres bâtiments publics), etc.
Pour une traque collective
On imagine l’ampleur de la tâche, car pour espérer se faire restituer une partie des avoirs du dictateur déposés à l’étranger, il ne suffit pas d’en faire la demande aux gouvernements des pays concernés. Il faut aussi faire des enquêtes, instruire des dossiers solides et les porter devant la justice locale, et celles des pays étrangers.
Dans ce travail, qui demandera des mois, et peut-être des années, la Tunisie devrait mobiliser toutes les parties qui peuvent l’aider dans ses démarches. Et parmi elles les Ong internationales spécialisées dans les enquêtes sur la corruption et la poursuite des chefs d’Etat corrompus, telles Transparency International, Sherpa, Global Financial Integrity (Gfi), etc. A cet égard, les Ong tunisiennes ont un important rôle à jouer, ne fut-ce que pour assurer le lien entre le gouvernement transitoire et ces organisations qui disposent de moyens d’investigation importants via leurs relais et réseaux à travers le monde.
En d’autres termes, la traque de l’argent des Tunisiens volé par Ben Ali et son clan mafieux n’est pas l’affaire du seul gouvernement, qui est du reste confronté à d’autres urgences. Tous les Tunisiens doivent aussi s’y associer, chacun à son niveau, avec ses moyens et où qu’il réside. De nombreux compatriotes, notamment en Suisse et au Canada, se sont déjà mobilisés pour assurer cette traque. Il faut aussi que les autres résidents dans les autres régions du monde, notamment dans les pays arabes – où l’information est encore plus difficile à obtenir –, y consacrent un peu de leur temps.
R. K.