Que l'ex-président de l'Isie hérite d'un ministère dans le 1er gouvernement de la 2e République tunisienne n'est qu'une reconnaissance amplement méritée.
Par Marwan Chahla
Kamel Jendoubi, si l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) votait sa confiance au gouvernement Essid, occuperait la fonction de ministre chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile.
Juste reconnaissance pour les services rendus par cet homme à la Révolution et revanche prise sur ses détracteurs, notamment au sein du parti islamiste Ennahdha.
Entre toutes les nominations annoncées, vendredi 23 janvier 2015, par Habib Essid, celle de Kamel Jendoubi, 62 ans, reste peut-être la plus intéressante à plus d'un titre. L'on ne s'attendait vraiment pas à ce que ce droits-de-l'hommiste de la première heure, revenu au pays de son exil parisien, au lendemain de la fuite de Ben Ali, puisse figurer sur la liste du Premier ministre désigné.
La tâche n'a pas été aisée
Kamel Jendoubi a été élu par la Haute instance de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (Hiror) pour présider l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie-1), qui a organisé la première élection libre en Tunisie, celle de l'Assemblée nationale constituante (ANC), le 23 octobre 2011.
Mettre sur pied pareille structure là où il n'en existait aucune, trouver les femmes et les hommes qu'il fallait pour piloter cette opération inédite, établir les contacts internationaux nécessaires pour puiser inspiration et sélectionner les meilleurs modèles avant de choisir l'option la plus adaptée et la plus moderne pour satisfaire nos besoins révolutionnaires, tout cela n'a pas été une tâche aisée. Tout cela, après coup, n'était pas parfait, de l'aveu de Kamel Jendoubi lui-même. Mais la tenue du scrutin de la Constituante a été un tournant décisif de la transition démocratique: c'est bien cette étape qui a permis aux représentants du peuple de s'atteler à la tâche de la rédaction de la nouvelle constitution et la formation du premier gouvernement de la Troïka-1, sous la direction du Nahdhaoui Hamadi Jébali...
La suite, c'est-à-dire les échecs et les incompétences des islamistes et de leurs associés, Ettakatolistes et Cpristes, était tout-à-fait indépendante de la volonté de Kamel Jendoubi.
Le 23 octobre 2011, les urnes ont fait confiance à «des hommes et des femmes honnêtes qui craignent Dieu» et le président de l'Isie-1 n'y pouvait rien. Le vote des électeurs tunisiens était libre et indépendant et son verdict était sans appel – n'en déplaise au «gauchiste» Kamel Jendoubi.
D'ailleurs, son aversion de l'islamisme nahdhaoui – qu'il allait de moins en moins cacher – va lui valoir bien des ennuis, voire des démêlées avec la justice, jusqu'au jour où il a été tout simplement mis hors d'état de nuire et qu'un successeur, Chafik Sarsar, a été désigné pour prendre les commandes d'une Isie-2.
Béji Caïd Essebsi n'a pas oublié la qualité du travail effectué par Kamel Jendoubi à la tête de l'Isie-1.
La révolution tue ses propres enfants
Ainsi, il ne restait plus à Kamel Jendoubi qu'à plier bagages et repartir... avec l'amertume qu'une révolution est capable de tuer ses propres enfants. Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et les autres martyrs parmi les agents de sécurité et de l'armée en ont su quelque chose. Que Kamel Jendoubi puisse être débarqué, avec inélégance, sur le bord de la route ne serait donc qu'un moindre mal.
Le 23 janvier 2015, lorsque Habib Essid a annoncé la désignation de Kamel Jendoubi à la tête du ministère des Relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, la surprise fut grande et justice lui a été rendue.
Ce choix, précisément entre tous les autres, ne peut être que celui de Béji Caïd Essebsi (BCE). A plusieurs reprises, souvenons-nous, l'actuel président de la République tunisienne a dit et répété qu'il tirait sa plus grande fierté du succès des premières élections libres de l'histoire de la Tunisie et de la régularité de la remise des commandes aux vainqueurs de ce scrutin.
Selon toute logique donc, BCE ne pouvait oublier la contribution de Kamel Jendoubi à cette réussite. Il ne pouvait oublier, non plus, la partie de bras-de-fer que les deux hommes ont engagée, pendant l'été 2011, sur la question de la date des élections pour la Constituante.
En définitive, Kamel Jendoubi a tenu tête à BCE et eu gain de cause: son choix du 23 octobre 2011 a été accepté et le scrutin a été un franc succès. Qu'il hérite, aujourd'hui, d'un ministère dans le 1er gouvernement de la 2e République de Tunisie n'est donc qu'une reconnaissance amplement méritée.
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