Chafik Jarraya

Chafik Jarraya affirme n'avoir aucun lien avec la crise actuelle au sein de Nidaa Tounes et annonce qu'il va poursuivre en justice ceux qui nuisent à son image.

Par Zohra Abid

Le sulfureux homme d'affaires a tenu une conférence de presse, vendredi 13 mars 2015, à Tunis, pour répondre à ses détracteurs. Il était entouré de ses avocats, dont l'ancien député Fayçal Jadlaoui.

A qui profite la crise de Nidaa Tounes?

Parmi ceux qui figurent sur la liste de ses adversaires, il a désigné le député de Nidaa Tounes Walid Jalled, Mohsen Marzouk, conseiller politique de la présidence de la république et Ridha Belhaj, chef du cabinet du président de la république Béji Caïd Essebsi. Mais aussi, Noureddine Ben Ticha, membre fondateur de Nidaa Tounes, et surtout l'homme d'affaires Kamel Letaïef (encore lui?) et l'ancien ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou.

Au centre de cette affaire : les écoutes téléphoniques fuitées du ministère de l'Intérieur révélant des relations suspectes entre Chafik Jarraya et le dirigeant islamiste Abdelhakim Belhaj

Pour l'homme d'affaires, cette mise sous écoute en dehors du cadre judiciaire est, en soi, un délit. Elle prouve l'existence d'un appareil sécuritaire parallèle qui a fait fuiter des données devant être classées confidentielles. «Ces documents ont été diffusés sur les plateaux de télévision et publiés par un quotidien respectable. En se basant sur la théorie de complot, on m'accuse d'être, avec le Libyen Abdelhakim Belhaj, derrière la crise de Nidaa Tounes. Le nom de Nabil Karoui (patron de Nessma TV, Ndlr) a été aussi cité dans cette affaire. Ces gens-là jouissent-ils vraiment de toutes leurs capacités mentales. Je demande au président de la république d'intervenir pour arrêter cette hémorragie. J'ai toujours été victime et on a toujours monté contre moi plusieurs affaires aujourd'hui en justice», a-t-il souligné.

Chafik Jarraya a précisé que certains personnes ont cherché en vain de lui porter préjudice. Il en a cité feu Abdelfattah Amor, président de l'ancienne Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CNICM), l'avocat Imed Ben Khamsa, ex-membre de cette même commission, et Noureddine Ben Ticha.

Abdelhakim Belhaj, pas touche !

Chafik Jarraya n'a pas démenti ses relations avec Abdelhakim Belhaj, ancien d'Al-Qaïda que beaucoup accusent d'être le chef des milices armées libyennes. Il s'en est même vanté, tout en essayant de noyer ces relations dans une formule imparable: «Je suis l'ami de tous les Libyens».

«Je n'ai rien à me reprocher. Si j'ai commis un impair, c'est la justice de mon pays de me juger. Et si M. Belhaj était un terroriste, il ne serait pas accueilli par Nicolas Sarkozy, François Hollande, Laurent Fabius, le roi d'Espagne, et tout récemment par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, et j'en passe», a-t-il précisé, en faisant projeter sur grand écran des photos de ces rencontres de M. Belhaj avec les grands de ce monde. Bien sûr, aucune image du passage du Libyen par Al-Qaïda en Irak n'a été projetée.

Cherchant à blanchir l'image du dirigeant islamiste libyen, Chafik Jarraya a rappelé que son ami a été accueilli, en 2012, par le dirigeant d'Ennahdha Hamadi Jebali, quand ce dernier était chef du gouvernement provisoire et c'est ainsi qu'il a lui-même fait connaissance. «M. Belhaj a fait, à cette époque, un don à la Tunisie de 3,3 millions de dinars et personne n'en a parlé», a indiqué l'homme d'affaires sans préciser dans quel caisse (ou poche) cet argent a finalement atterri et en qualité de quoi M. Belhaj – un milicien – se permet-il de donner de l'argent à l'Etat tunisien.

CP de Chafik Jarraya

Chafik Jarraya monté sur ses grands  chevaux, entouré d'une armada d'avocats. 

M. Jarraya, qui est visiblement habitué à ce genre de pratiques financières occultes, ne s'encombre pas, bien sûr, de ces considérations.

«Je suis le trésorier de la Chambre du commerce de Sfax et je suis chargé des relations extérieures, notamment avec des hommes d'affaires du Maghreb. Il est donc de mon devoir d surveiller l'évolution des marchés, dont celui de la Libye. N'empêche que je me tiens loin des conflits internes de nos frères libyens...», a encore indiqué Chafik Jarraya pour justifier ses accointances libyennes, avant de nier avoir reçu de l'argent en contrepartie de son lobbying en faveur de Abdelhakim, dont l'accusent ses détracteurs. «Certains ont raconté que Nabil Karoui a été payé pour l'interview que Nessma TV a faite à M. Belhaj. Je dis que cela est faux et Nabil Karoui n'a pas touché un centime pour ce travail», a ajouté l'homme d'affaires volant au secours du patron de la chaîne privée, accusée de «blanchir» le dirigeant islamiste libyen et d'oeuvrer à provoquer des divisions au sein du parti Nidaa Tounes.

Chafik Jarraya, qui n'explique pas pourquoi il se donne tant de mal à s'immiscer dans des affaires qui ne devraient pas normalement le concerner, a expliqué qu'en «bon Tunisien», il a toujours cherché l'intérêt du pays – et on devrait, bien sûr, le croire sur parole – et négocié pour le rapprochement entre les différentes parties libyennes, que ce soit en Afrique du Sud, en Algérie ou ailleurs. L'homme d'affaires a cru devoir préciser que ses relations en Libye lui ont permis de jouer un rôle important dans la libération des 2 diplomates tunisiens enlevés en Libye l'année dernière. Personne ne l'en a remercié...

Evoquant ensuite ses démêlées avec certains dirigeants de Nidaa Tounes, qui l'accusent de vouloir semer la zizanie dans leurs rangs, Chafik Jarraya s'est attaqué à Walid Jalled, qui a rendu public le contenu des écoutes téléphoniques, indiquant que ce dernier «ne fait qu'exécuter les ordres de ses maîtres Mohsen Marzouk et Ridha Belhaj».

«Walid Jallad est venu chez moi à 3 reprises pour me faire du chantage et j'ai des témoins, comme les députés Khemaïes Ksila et Sofiane Toubel. Il m'a même menacé, en me disant que Kamel Letaïef (un autre homme d'affaires lobbyiste jouant au faiseur de roi, NDLR) détient des documents compromettants contre moi», a-t-il prétendu, sans donner plus de précision sur l'objet et la nature du soi-disant chantage. Quant au témoignage de MM. Ksila et Toubel, qui sont ses amis et obligés, on devrait peut-être s'y fier les yeux fermés !

Droit de réponse

Chafik Jarraya, qui se croit indispensable à l'équilibre du monde et aime prendre les Tunisiens pour des idiots, a indiqué avoir adhéré, il y a 15 jours, à Nidaa Tounes, mais qu'il s'en est retiré 2 jours avant la conférence de presse, expliquant qu'il ne veut plus de ce parti et que seule la Tunisie mérite aujourd'hui son soutien.

«Je vais porter plainte contre Walid Jalled, Mohsen Marzouk, Ridha Belhaj, Lotfi Ben Jeddou et toute la bande», a lancé cet homme poursuivi en justice dans plusieurs affaires de corruption. Ses adversaires en tremblent encore...

Interrogé par Kapitalis sur les accusations portés contre lui par l'homme d'affaires, Walid Jalled a précisé qu'il s'est rendu 2 fois (et non 3) au domicile de Chafik Jarraya et que c'était toujours à sa demande. «Ses nombreuses invitations étaient envoyées par SMS que je garde encore sur mon téléphone portable. Il me harcelait par ses SMS. Il voulait que Nidaa Tounes sème la zizanie entre les dirigeants de l'Union patriotique libre (UPL), présidée par l'homme d'affaires Slim Riahi, et tente de récupérer certains de ses députés. Il a insisté lourdement, mais j'ai refusé de jouer à ce jeu-là. Je lui ai dit que sa demande est rejetée par Nidaa Tounes et que, s'il était vraiment de bonne foi, qu'il commence par mettre fin aux attaques contre notre parti sur le journal ''El-Massa'' qu'il subventionne».

M. Jarraya a aussi déclaré avoir dépensé 30.000 dinars en soutien de la campagne présidentielle de M. Caïd Essebsi. Ce que M. Jalled récuse catégoriquement: «M. Jarraya n'a jamais mis un sou dans les campagnes électorales de Nidaa Tounes pour les législatives et la présidentielle. Le parti a son compte courant bancaire, réservé à des campagnes électorales et il est facile de vérifier. Nous n'avons rien à cacher, car nos financements sont transparents».

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