ghannouchi
La découverte (très opportune) des trésors de Ben Ali Baba et les conditions controversées dans lesquelles cette «découverte» a été annoncée, en présence des caméramans de télévision, mais pas des juges, continue d’alimenter la polémique.


Outre le timing de la découverte – plus d’un mois après la fuite du dictateur – et le montant des fonds annoncé par la Banque centrale de Tunisie (Bct), que beaucoup de Tunisiens estiment en-deçà de la réalité, la polémique porte sur la légalité même de l’opération, eu égard au statut de ses auteurs. Et même sur son authenticité et sa sincérité. «Et si tout ça était de la mise en scène?», se demande-t-on, incrédule. Et si on cherchait, à travers ces «opérations de communication», à détourner l’attention des Tunisiens des vrais problèmes? 
Le gouvernement de transition souffre, dès le départ, d’un déficit de légitimité. Beaucoup de Tunisiens le soupçonnent, à tort ou à raison, de vouloir reconduire le système de Ben Ali. Non content de faire du surplace, il aggrave son cas en multipliant les erreurs de casting, avec la nomination d’anciens collaborateurs du président déchu à des postes clés, et en collectionnant les ratés de communication, que le maintien du système d’information, de ses anciennes figures et de ses pratiques éculées rend encore plus insupportables.
Bref, dans cette atmosphère de suspicion généralisée, le gouvernement offre suffisamment de prises à ses détracteurs qui ne demandent que de lui compter les points… Les notaires, magistrats et autres avocats, des corps de métier que  les abus du système Ben Ali ont rendu très vigilants, ne voudraient pas, pour leur part, s’en laisser conter.

Les notaires montent au créneau
Ainsi, l’Association nationale des chambres des notaires de la république tunisienne a-t-il dénoncé, dans un communiqué rendu public lundi, les propos tenus par le président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversations, au sujet de «l’ouverture des coffres-forts du président déchu, en sa résidence de Sidi Bou Saïd, en présence de notaires.»
L’association a affirmé ne disposer d’aucune information à ce sujet et n’avoir habilité aucun des membres de ses structures à prendre part aux activités de cette commission ou à assister aux opérations d’expertise et d’inventaire des fonds découverts.
L’Association considère que les informations selon lesquelles les fonds pillés ont été découverts en présence de notaires «visent seulement à redorer le blason de cette commission, considérée par l’association nationale comme étant dépourvue de toute légitimité depuis sa création.»

Les magistrats dénoncent la violation de leurs prérogatives
S’agissant de la même question, Ahmed Rahmouni, président de l’Association des magistrats tunisiens (Amt) a fait remarquer que l’Atm avait exprimé, dès le début, son opinion concernant la composition des commissions nationales, notamment celles chargées d’enquêter sur les affaires de corruption et de malversations et d’investiguer sur les faits commis durant la dernière période.
L’Amt avait attiré l’attention, a-t-il dit, sur le fait que les travaux de ces deux commissions relèvent du ressort de la justice et, par conséquent, leurs activités interfèrent avec les prérogatives de l’autorité judiciaire.
M. Rahmouni, interrogé par l’agence Tap, a ajouté que la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversations n’a fait que confirmer le degré de justesse de ces réserves, dès lors que «l’opération de ce qui est appelé séquestration des fonds du président déchu» a reflété les lacunes dont souffre l’action de cette commission, lacunes traduites, notamment par la violation des procédures judiciaires et des prérogatives de la magistrature, et ce en l’absence d’une délimitation claire des attributions de telles commissions.

Les avocats soupçonnent une tentative de diversion
Pour sa part, le Conseil de l’ordre des avocats tunisiens (Coat) a enregistré, dans un communiqué rendu public lundi, son «rejet des procédures engagées par la même Commission et qui sont dénuées de tout fondement légal, de même qu’elles constituent une transgression criante des compétences de la justice en termes d’enquête et d’expertise, qui sont soumises aux principes de la loi sur les procédures pénales et protégées par plusieurs garanties constitutionnelles».
Le Coat relève, aussi, que ces actions portent atteinte au secret de l’instruction pour certaines personnes à l’encontre desquelles une instruction a été engagée.
Le même communiqué affirme que «la situation dans le pays nécessite des décisions politiques audacieuses à même de dynamiser les institutions et d’aller de l’avant sur la voie de l’indépendance de la magistrature et de rompre définitivement avec des méthodes caduques consistant à détourner l’attention de l’opinion publique à travers des événements montés de toute pièce, qui n’aident point à garantir le changement radical revendiqué par le peuple».

Lapsus, susceptibilités et reproches 
Contacté par la Tap, Abdelfattah Amor a indiqué que sa déclaration concernant les notaires n’est qu’un «lapsus», et qu’au lieu d’évoquer les huissiers notaires, il a parlé de notaires. Il a, également, mis l’accent sur le fait que la mission dévolue à la commission qu’il préside est une «mission nationale, délicate et grave, tout particulièrement, en cette circonstance historique que connaît le pays», soulignant l’impératif d’«éviter les susceptibilités exagérées et les reproches inutiles.»
Suspicion mise à part, nous sommes prêts à croire M. Amor sur parole, à condition qu’il respecte lui-même les formes et qu’il se conforme aux lois du pays. C’est le moins que l’on puisse exiger d’un professeur de droit. Pourvu aussi qu’il soit vigilant et qu’il ne se laisse pas instrumentaliser. Révolution oblige, 10 millions de Tunisiens le scrutent, lui et son équipe, et ne semblent pas prêts à relâcher leur attention.

Imed Bahri

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Tunisie. Peut-on croire le gouvernement de transition?

La découverte (très opportune) des trésors de Ben Ali Baba et les conditions controversées dans lesquelles cette «découverte» a été annoncée, en présence des caméramans de télévision, mais pas des juges, continue d’alimenter la polémique.

Outre le timing de la découverte – plus d’un mois après la fuite du dictateur – et le montant des fonds annoncé par la Banque centrale de Tunisie (Bct), que beaucoup de Tunisiens estiment en-deçà de la réalité, la polémique porte sur la légalité même de l’opération, eu égard au statut de ses auteurs. Et même sur son authenticité et sa sincérité. «Et si tout ça était de la mise en scène?», se demande-t-on, incrédule. Et si on cherchait, à travers ces «opérations de communication», à détourner l’attention des Tunisiens des vrais problèmes?

Le gouvernement de transition souffre, dès le départ, d’un déficit de légitimité. Beaucoup de Tunisiens le soupçonnent, à tort ou à raison, de vouloir reconduire le système de Ben Ali. Non content de faire du surplace, il aggrave son cas en multipliant les erreurs de casting, avec la nomination d’anciens collaborateurs du président déchu à des postes clés, et en collectionnant les ratés de communication, que le maintien du système d’information, de ses anciennes figures et de ses pratiques éculées rend encore plus insupportables.

Bref, dans cette atmosphère de suspicion généralisée, le gouvernement offre suffisamment de prises à ses détracteurs qui ne demandent que de lui compter les points… Les notaires, magistrats et autres avocats, des corps de métier que  les abus du système Ben Ali ont rendu très vigilants, ne voudraient pas, pour leur part, s’en laisser conter.

Les notaires montent au créneau

Ainsi, l’Association nationale des chambres des notaires de la république tunisienne a-t-il dénoncé, dans un communiqué rendu public lundi, les propos tenus par le président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversations, au sujet de «l’ouverture des coffres-forts du président déchu, en sa résidence de Sidi Bou Saïd, en présence de notaires.»

L’association a affirmé ne disposer d’aucune information à ce sujet et n’avoir habilité aucun des membres de ses structures à prendre part aux activités de cette commission ou à assister aux opérations d’expertise et d’inventaire des fonds découverts.

L’Association considère que les informations selon lesquelles les fonds pillés ont été découverts en présence de notaires «visent seulement à redorer le blason de cette commission, considérée par l’association nationale comme étant dépourvue de toute légitimité depuis sa création.»

Les magistrats dénoncent la violation de leurs prérogatives

S’agissant de la même question, Ahmed Rahmouni, président de l’Association des magistrats tunisiens (Amt) a fait remarquer que l’Atm avait exprimé, dès le début, son opinion concernant la composition des commissions nationales, notamment celles chargées d’enquêter sur les affaires de corruption et de malversations et d’investiguer sur les faits commis durant la dernière période.

L’Amt avait attiré l’attention, a-t-il dit, sur le fait que les travaux de ces deux commissions relèvent du ressort de la justice et, par conséquent, leurs activités interfèrent avec les prérogatives de l’autorité judiciaire.

M. Rahmouni, interrogé par l’agence Tap, a ajouté que la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversations n’a fait que confirmer le degré de justesse de ces réserves, dès lors que «l’opération de ce qui est appelé séquestration des fonds du président déchu» a reflété les lacunes dont souffre l’action de cette commission, lacunes traduites, notamment par la violation des procédures judiciaires et des prérogatives de la magistrature, et ce en l’absence d’une délimitation claire des attributions de telles commissions.

Les avocats soupçonnent une tentative de diversion

Pour sa part, le Conseil de l’ordre des avocats tunisiens (Coat) a enregistré, dans un communiqué rendu public lundi, son «rejet des procédures engagées par la même Commission et qui sont dénuées de tout fondement légal, de même qu’elles constituent une transgression criante des compétences de la justice en termes d’enquête et d’expertise, qui sont soumises aux principes de la loi sur les procédures pénales et protégées par plusieurs garanties constitutionnelles».

Le Coat relève, aussi, que ces actions portent atteinte au secret de l’instruction pour certaines personnes à l’encontre desquelles une instruction a été engagée.

Le même communiqué affirme que «la situation dans le pays nécessite des décisions politiques audacieuses à même de dynamiser les institutions et d’aller de l’avant sur la voie de l’indépendance de la magistrature et de rompre définitivement avec des méthodes caduques consistant à détourner l’attention de l’opinion publique à travers des événements montés de toute pièce, qui n’aident point à garantir le changement radical revendiqué par le peuple».

Lapsus, susceptibilités et reproches

Contacté par la Tap, Abdelfattah Amor a indiqué que sa déclaration concernant les notaires n’est qu’un «lapsus», et qu’au lieu d’évoquer les huissiers notaires, il a parlé de notaires. Il a, également, mis l’accent sur le fait que la mission dévolue à la commission qu’il préside est une «mission nationale, délicate et grave, tout particulièrement, en cette circonstance historique que connaît le pays», soulignant l’impératif d’«éviter les susceptibilités exagérées et les reproches inutiles.»

Suspicion mise à part, nous sommes prêts à croire M. Amor sur parole, à condition qu’il respecte lui-même les formes et qu’il se conforme aux lois du pays. C’est le moins que l’on puisse exiger d’un professeur de droit. Pourvu aussi qu’il soit vigilant et qu’il ne se laisse pas instrumentaliser. Révolution oblige, 10 millions de Tunisiens le scrutent, lui et son équipe, et ne semblent pas prêts à relâcher leur attention.

Imed Bahri