L’auteur, avocat et ancien fonctionnaire de l’Onu, s’adresse ici au Premier ministre du gouvernement de transition, dont il déplore les tergiversations, les volte-face successifs et le manque de clarté.
Par Me Taoufik Ouanes  


Vous ne me connaissez pas, mais moi je me rappelle de vous quand vous étiez «mon surveillant» au Lycée de Sousse. Je vous dois donc le respect. Loin de moi l’idée d’attaquer votre personne ou votre fonction. Cependant, je ne vais pas me priver de critiquer votre rôle depuis le 14 janvier avec autant d’objectivité que de véhémence, ces deux notions n’étant pas contradictoires.
La révolution a emporté Ben Ali, N°1 du régime et N°1du Rcd. Vous êtes le N°2 de l’un et de l’autre et vous êtes toujours là! Cela aurait été compréhensible si c’était vous qui aviez été celui qui a dégommé Ben Ali, mais c’est la révolution du peuple et sa jeunesse qui l’a fait.
Depuis le 14 Janvier et suite à votre entêtement à rester aux commandes du pays, la désespérance et l’amertume ont gagné toutes les couches de la population et notre pays n’a cessé de glisser – vertigineusement – vers le chaos et l’anarchie. Vos maladresses et vos tergiversations, quand vous agissez, votre inertie et absentéisme quand vous devez agir sont à l’origine de la colère renouvelée du peuple.

Si Mohamed, vous ne réalisez pas? Ou c’est votre agenda?
Le 14 janvier, après la fuite de Ben Ali, vous nous avez annoncé prendre les fonctions de président par intérim. Nous n’avions pas encore réalisé cette entourloupe que vous nous annonciez une autre moins de 24 heures après: vous êtes redevenu Premier ministre. Dégradé ou récompensé? Et par qui? Changement de stratégie? Qui est alors votre stratège ou bien c’est votre agenda? Une question continue à me faire peur: pourquoi vous avez résisté, juste après la fuite de Ben Ali, et par toutes les circonvolutions verbales possibles et imaginables, à dire à Al-Jazira que ce départ était sans retour? Surtout ne répondez plus par des élucubrations constitutionnelles. Les juristes, dont je suis, y perdent leur droit et le peuple y perd sa patience! Mais ce qui est certain, c’est que vous avez jeté le pays dans un imbroglio juridique et constitutionnel sans précédent et que vous avez bloqué, à la fois, la légitimité constitutionnelle et la légitimité révolutionnaire.
Tout cela aurait pu et pourrait être résolu si vous vous n’étiez pas accroché au pouvoir d’une manière – n’ayons pas peur des mots – suspecte. Votre premier gouvernement et sa dissolution en sont la preuve. Votre deuxième également; du simple fait de votre présence à sa tête, de sa faiblesse et de son incapacité à générer une adhésion populaire.

Si Mohamed, vous ne réalisez pas? Ou c’est votre agenda?
Ne me dites pas que vous faites tout cela par patriotisme. Il y a beaucoup de patriotes dans ce pays et une forme de patriotisme est de s’effacer en toute humilité pour l’intérêt national lorsqu’on n’est pas en phase avec son peuple.
Ne me dites pas que vous faites tout cela parce que vous êtes le seul compétent dans ce pays et le seul qui «connaît les dossiers»! En ce qui concerne votre connaissance des dossiers, elle me paraît très relative, du moins en ce qui concerne les plus importants: corruption, détournement des biens de la collectivité nationale, développement régional inégal, démocratie, droits de l’homme etc.
Peut-être que je me trompe et que vous connaissez tout cela ; alors vous êtes complice de tout ce qu’a fait Ben Ali.
Quant à votre connaissance des diagrammes économiques et des équations financières, cela aurait été à votre honneur, et si vous étiez sincère, de la mettre au service de la nouvelle Tunisie, si on fait appel à vous.

Si Mohamed, vous ne réalisez pas? Ou c’est votre agenda?
Vos multiples fiascos et ceux de vos deux gouvernements sont trop nombreux pour en faire un exposé exhaustif. Commençons par la composition de votre premier gouvernement. S’il était resté aux commandes, Ben Ali n’aurait pas fait pire. Mais je ne vais pas vous accabler sur ce point: tout a été dit!
Cependant, et concernant votre deuxième gouvernement, vous voulez nous leurrer avec cette «brigade» de pseudo technocrates sous la houlette de Hakim Karoui, Marouan Mabrouk, Aziz Miled et autres intérêts de l’ancien régime dont vous étiez et êtes toujours le plus fidèle serviteur. Pour preuve, rappelons la trop lente et donc suspecte nonchalance à arrêter et mettre en accusation les ténors de l’ancien régime et à geler leurs biens.
Vous avez poussé l’outrecuidance jusqu’à ne pas dire au peuple, et jusqu’à aujourd’hui, qui est arrêté, qui s’est enfui, qui est sous résidence surveillé et qui est interdit de voyager! Loin de moi la chasse aux sorcières, mais le peuple a droit à l’information.
A propos d’information, et mis à part le courage de certains médias privés, la télévision publique, et à quelques exceptions près, est encore malade des pratiques antidémocratiques de l’ancien régime. Les journalistes de cette même télévision le disent et manifestent presque tous les jours pour l’exprimer.

Si Mohamed, vous ne réalisez pas? Ou c’est votre agenda?
Enfin un petit mot sur le fiasco de votre politique étrangère. Votre recherche effrénée d’un ministre des Affaires étrangères qui soit à l’image de votre dessein et de votre agenda a porté le plus grand préjudice à la Tunisie.
Cela a débouché sur le désastre national d’Ahmed Ounaies sur l’électron libre Radhouane Nouisser – ancien chef de cabinet d’Ahmed Friaâ de triste mémoire et dernier ministre de l’Intérieur de Ben Ali.
Après une vacance de ce poste pendant plusieurs semaines, vous donnez à la prestigieuse diplomatie tunisienne un ambassadeur retraité et illustre inconnu en la personne de Mouldi Kéfi.
Sans acrimonie à la personne de ces diplomates, ce qui me chagrine c’est votre façon de faire. Cette même façon permet à la France de nous envoyer un ambassadeur sans l’agrément de la Tunisie et dont le style est aussi indigne pour la France qu’insultant pour la Tunisie.

Si Mohamed, vous ne réalisez pas? Ou c’est votre agenda?
Si Mohamed, je vais m’arrêter, sinon cela va être très long et très douloureux. Peut-être pas pour vous, mais certainement pour moi. Je ne vais pas finir ce propos en vous disant le mot que le peuple tunisien vous a dit des millions de fois et qui commence par la lettre «D»: dégage! Je vais vous dire un autre mot, qui commence également par la lettre «D»: dignité, s’il vous plait!