Cette petite phrase, on la doit à Eric Raoult, député-maire Ump (parti de Nicolas sarkozy), membre du groupe d’amitié France-Tunisie à l’Assemblée nationale française, «benaliste» de la première (et de la dernière) heures, qui raillait, il y a quelques jours, sur les ondes d’Europe 1, les hommes politiques français qui entretenaient de bonnes relations avec l’ex-président tunisien et qui, aujourd’hui, ont tourné casaque.
Ben Ali tiers-mondiste?
On reconnaîtra à M. Raoult son honnêteté: il est resté fidèle à ses anciennes convictions, au point de continuer de défendre, à contre-courant, au risque d’en paraître ridicule, le bilan de Ben Ali. Mais on ne le laissera pas falsifier les réalités historiques et donner à Ben Ali ce qui ne lui appartient pas.
«C’était quelqu’un qui avait accueilli Yasser Arafat sur son territoire, qui protégeait les Juifs de Tunisie, qui avait une vision du tiers-monde qui plaisait à la droite et à la gauche», dit M. Raoult à propos de Ben Ali.
Cette affirmation n’est pas toit à fait exact. Si Ben Ali protégeait les Juifs de Tunisie, cette tradition remonte très loin dans l’histoire du pays : les beys de Tunis, puis le président Habib Bourguiba considéraient les Juifs tunisiens comme des citoyens à part entière. Le premier gouvernement de l’indépendance, en 1956, comptait même deux secrétaires d’Etat de confession israélite. Ben Ali n’a donc fait que continuer une tradition bien ancienne.
Pro-palestinien ou suppôt d’Israël?
Quant au leader palestinien Yasser Arafat, il a été accueilli par l’ex-président Bourguiba, dès le siège de Beyrouth et le départ de l’Olp du Liban en 1982. Ben Ali a donc hérité de cette présence palestinienne: il n’en pas été à l’origine. En revanche, des voix s’élèvent aujourd’hui pour accuser l’ex-président d’avoir trempé (au moins en laissant faire) dans l’assassinat des leaders palestiniens basés à Tunis, notamment Abou Jihad.
Quant à la vision «benalienne» du tiers-monde, il faudra en apporter des preuves tangibles, tant l’ex-président était totalement soumis aux diktats de l’Occident et complètement indifférent au sort du tiers-monde. La preuve: il assistait rarement aux sommets et forums africains, islamiques et tiers-mondistes. Les échanges de la Tunisie, sous son règne, s’élèvent à plus de 80% avec l’Europe et l’Amérique. Quant à ses visites en Afrique subsaharienne, en Amérique latine ou dans les pays asiatiques se comptent sur les doigts d’une seule main.
Ordre ou immobilisme? Sécurité ou oppression?
M. Raoult affirme aussi qu’il y avait en Tunisie «l’ordre et la sécurité, alors qu’il y avait des attentats au Maroc et une guerre civile en Algérie». Cette affirmation mérite d’être nuancée, car «l’ordre et la sécurité» (pour l’Occident), ce sont 10 millions de Tunisiens qui en payaient le prix par les limitations de leurs droits et de leurs libertés. Quant aux attentats et aux violences extrémistes, la Tunisie en a connu elle aussi à Djerba (en avril 2002) et à Soliman (en décembre 2007), pour ne citer que ces deux épisodes très médiatisés à l’étranger.
M. Raoult considère Ben Ali comme un «progressiste» et un «nationaliste». Il ajoute qu’il «était un homme qui aimait son pays» et «qu’il a fait du bien à son pays». Il suffit de se rappeler des Tunisiens décédés sous la torture infligée par les services de l’ex-président et, plus près de nous, des snipers qu’il a postés sur les toits des maisons pour tirer sur les jeunes chômeurs manifestant pacifiquement pour mesurer le mépris et la haine que Ben Ali vouait aux Tunisiens. Les immenses coffres-forts remplis de liasses de billets, d’or et de diamants retrouvés dans son palais de Sidi Dhrif et les avoirs de l’ex-président et de son clan à l’étranger apportent un démenti à son présumé «nationalisme». Un chef d’Etat qui pille son peuple, amasse des fortunes qu’il subtilise aux banques ou soutire à ses compatriotes au prétexte d’œuvres caritative ou qu’il tire du racket organisé des hommes d’affaires ne peut être qualifié de «progressiste» et encore moins de nationaliste.
Peut-on pardonner?
Interrogé sur la corruption de l’ex-président et de son clan, le député Ump concède: «On fermait les yeux là-dessus, et on aurait dû les avoir grand ouvert. Il y a d’autres états autoritaires dans le Maghreb, mais jamais avec un tel niveau de corruption…» Il s’empresse cependant, en invoquant le Coran, de demander aux Tunisiens de «pardonner» à leur ex-despote… Ce qui s’apparente à une ingérence d’autant plus intolérable qu’elle émane d’un homme politique français que n’émeuvent pas les souffrances endurées par les Tunisiens durant les 23 ans de règne de Ben Ali, mais qui se soucie de soigner l’image que ce dernier laissera pour la postérité.
A l’image de la classe politique française, qui grenouillait avec l’ex-dictateur, M. Raoult ne semble pas disposé à faire son mea culpa. C’est à peine s’il ne regrette pas le bon vieux temps des dictatures amies au sud de la Méditerranée.
Ridha Kéfi