Quelques minutes après que Mohamed Ghannouchi ait rendu publique sa démission, la foule est descendue jusqu’à chez lui à El Menzah V pour le supplier de revenir sur sa décision.


«Sinon, les Rcdéistes vont revenir en force. Comment allons-nous les empêcher? Comment va être le pays avec ces gens qui sont si impliqués avec l’ancien régime? Mais nous sommes vraiment dans une impasse!» Voilà ce que racontent les gens réunis aujourd’hui en fin d’après-midi à El Menzah V. Ils n’ont pas été très surpris par la démission, mais ils ont cru que le Premier ministre allait tenir encore un peu jusqu’aux prochaines élections.   
«Aujourd’hui, c’est la fuite en avant et c’est très bien fait pour nous. Ça va être la cata. Nous avons laissé faire ces gens indignes et voilà le résultat. Il leur aurait fallu un contre-pouvoir pour les arrêter. Rien que par notre silence, nous les avons aidés à créer le désordre. Au final, nous méritons ce coup fatal! Où va mon pays? Je n’en sais rien!», a dit à Kapitalis l’artiste peintre Asma Mnaouar, écœurée.
Comme Asma, ils étaient plus de huit cent personnes à crier, brandissant des slogans pour que Ghannouchi ne laisse pas tomber en un moment pareil le pays. Ils disent que la Tunisie va être dans la main des tortionnaires de Ben Ali.

 

Nous craignons le retour des rcdéistes
«Bon Dieu, il n’a pas le droit de nous lâcher et de laisser ces vandales occuper la place. Ils vont revenir et pire qu’avant. On les connaît un-à-un et tous impliqués de près ou de loin dans ce qui se passe dans mon pays. Il n’y a qu’eux (Rcdéistes, Ndlr) qui ont les moyens, de l’argent et des armes, pour que la Tunisie bascule dans l’anarchie. Ils la veulent cette anarchie pour que les enquêteurs ne trouvent aucune preuve contre eux. Sinon pourquoi, brûlent-ils les biens publics? C’est monstrueux!», crie Héla l’étudiante, catastrophée.
Sa voisine n’est pas en mieux. Elle est même dans un très sale état. En pleurs, elle s’en veut… à mort. Pourquoi? Sa réponse: «Parce que j’ai été manipulée par un groupe de la fac et j’ai suivi le mouvement. J’ai fait le sit-in à la Kasbah et j’ai crié sur tous les toits pour que Ghannouchi parte. J’ai fait en fait le perroquet. Et c’est maintenant que je réalise que je suis débile. J’ai 23 ans et je n’ai aucune éducation politique. D’ailleurs, comme tous les jeunes de mon âge. Il a suffi qu’un bon parleur lance quelques phrases pour que tout le monde soit séduit. Aujourd’hui, j’ai honte. Je regrette d’avoir participé pour le compte des collabos de Ben Ali et qui ne savent pas c’est quoi la patrie, c’est quoi la liberté».

«Ghannouchi, reviens!»
«Bizarre! Si ces gens ont de l’amour à leur patrie, ils ne mettraient pas le feu à Tunis. Là, les choses s’éclaircissent… Qui a intérêt à semer ces troubles? Il n’y a que ces gens qui ont quelque chose à se reprocher et qui étaient très proches des hommes et des femmes du clan ben Ali», relève Adel.
Adel dit que les hommes de Ben Ali sont tellement mouillés, qu’une fois les enquêtes terminées, ils risquent de se trouver derrière les barreaux. «Au moment qu’il ne fallait pas, ils étaient là pour s’incruster dans la foule et mettre le feu. Ces gens, on les connaît sans foi ni loi. Ils sont capables de tout et le pire n’est pas encore écarté. Finalement, nous méritons ce qui nous arrive. Alors qu’ils étaient en train de tramer des coups bas et de monnayer des jeunes pour saccader, piller et brûler les biens publics et privés, nous étions bien au chaud. Nous n’avons pas levé le petit doigt. Pourtant, ils ne sont que des petits groupes en face de nous. Voilà où nous a menés notre silence !», se mord les doigts un militant, la cinquantaine.
A ses côtés, un jeune brandit une pancarte où il a griffonné: «Le peuple veut que Ghannouchi revienne». Pas loin, une autre pancarte. On lit: «Ghannouchi reviens !»…
Ghannouchi a entendu toutes ces voix qui le hélaient. Il a fini par sortir et les a remerciés. «Il a les yeux cernés, très affecté et s’est adressé à la foule en leur disant que le peuple est plus important que lui. Il a parlé à son peuple pendant cinq petites minutes, puis, il s’est retiré chez lui…»

Syndicat dégage!
Les quelque 1.000 personnes – dont des intellectuels, des universitaires, des médecins et autres de la petite bourgeoisie – n’ont pas abdiqué. Ils font leur sit-in au n° 25 de l’avenue d’Afrique. Entre-temps, il y a une nouvelle qui circule. On parle déjà de l’après-Ghannouchi. Le nom de Béji Caïd Essebsi tourne discrètement…
19 heures trente, la nouvelle n’est plus discrète et c’est le président par intérim qui l’a annoncé à la télé et a promis qu’une feuille de route sera mise très bientôt par son gouvernement de transition. Le discours n’a pris que deux petites minutes.
Une minute après, le syndicat a refusé sous prétexte qu’il n’était pas prévenu. «A quoi joue le syndicat? On ne comprend plus. Ça commence à m’embêter et j’ai des doutes sur leur honnêteté. Franchement, ils sont en train de donner gain de cause aux diables de Ben Ali. Et pas au peuple qui doit reprendre le travail. Après tout, il y aura des élections en juillet prochain. Si on continue, le pays va couler… et nous avec!», crie Imed l’ingénieur.
Asma l’artiste est toujours-là et dans tous ses états. Elle dit que si, cette fois-ci, ça ne marche pas, alors elle préfère que l’armée prenne les choses en mains en attendant les élections».
Quelle tête va sauter prochainement? Asma souhaite celle des syndicalistes de l’Ugtt.

Zohra Abid