Aussi inattendu que cela puisse paraître, le premier à avoir serré hier la main de Béji Caïd Essebsi, Premier ministre du gouvernement provisoire depuis deux jours, c’est Abdesselam Jrad, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt).
La rencontre, d’après l’organisation ouvrière, a été d’une importance majeure pour trouver un terrain d’entente entre toutes les parties. Importance pour qui? Importance pour quoi? L’Ugtt ne l’explique pas.
Si aucune information n’a filtré à propos de cette rencontre, celle-ci autorise certaines interrogations légitimes, d’autant qu’elle a coïncidé – ou a été suivie – d’une cascade de démissions au sein du gouvernement provisoire.
L’ombre de Ben Ali…
En recevant, dès sa prise de fonction, M. Jrad, l’une des dernières personnalités à avoir été reçues par Ben Ali, un jour avant la chute de ce dernier, M. Caïd Essebsi a-t-il mesuré la portée symbolique de son geste, qui a suscité la colère de beaucoup de Tunisiens.
M. Jrad, dont l’organisation a pris (très opportunément) le train de la révolution en marche, était, avec la plupart des membres du bureau exécutif de l’Ugtt, parmi les piliers du système Ben Ali. M. Jrad lui-même avait été imposé par le Palais de Carthage. Les syndicalistes, qui l’ont soi-disant «élu», le savent très bien. Autant que nous, journalistes, qui avons assisté aux différents congrès de l’Ugtt. Autant aussi que les conseillers de Ben Ali qui avaient manipulé ces congrès dans les coulisses. N'est-ce pas Moncer Rouissi? Les Tunisiens n’ignorent pas eux aussi toutes ces vérités.
Une virginité miraculeusement retrouvée
Par quel miracle, l’Ugtt, Jrad, Abid Briki et les autres sont-ils devenus les leaders d’une révolution qu’ils ont ignorée durant les deux premières semaines avant de la rejoindre au dernier moment, lorsque les dés étaient jetés et que la chute de l’ancien régime était devenue inéluctable.
Personne n’est dupe de la virginité miraculeusement retrouvée par la direction de l’Ugtt, et ses positions ont de quoi alimenter les soupçons sur ses véritables intentions.
Que gagne, en effet, l’Ugtt à alimenter le désordre et à empêcher le retour au calme dans le pays? Que cherche-t-elle ainsi à empêcher? Que redoute-t-elle? Les enquêtes qui démontreraient son implication – jusqu’au coup – dans le système de Ben Ali? Les mauvaises langues parlent même des passe-droit, des cadeaux et des petites attentions dont certains dirigeants de la centrale syndicale ont bénéficié sous l’ancien régime. Faut-il que nous rafraichissions la mémoire des Tunisiens en rappelant les soutiens successifs que le chef de l'Ugtt et son bureau exécutif ont apporté à Ben Ali, au moment où ce dernier réprimait les forces progressistes de ce pays?
Pour toutes ces raisons, et parce que nous ne pouvons faire confiance aux révolutionnaires de la 25e heure, ni à leurs troublantes alliances, nous demandons à M. Caïd Essebsi de clarifier les raisons qui l’ont amené à recevoir Jrad avant toute autre personnalité. Craint-il les capacités de nuisance de ce vieux manoeuvrier du syndicalisme tunisien? Cherche-t-il son appui en cette période délicate? Pour quelle raison? Et a-t-il calculé les risques que cette main tendue pourrait constituer pour la marche du peuple tunisien vers la démocratie?
Les Tunisiens doivent savoir…
Ridha Kéfi