Lors de sa première rencontre avec la presse, Béji Caïd Essebsi, nouveau Premier ministre par intérim, a tenu un discours de près d’une heure. Il était à la fois paternel et ferme.
L’essentiel pour le Premier ministre par intérim est d’aller de l’avant. Le pays en a souffert pendant deux décennies, il est au bord du chaos et la mission du peuple est de le sauver rapidement. «Il est de notre devoir d’entamer une nouvelle période après la révolution qui était nécessaire», a-t-il lancé aujourd’hui à un parterre de journalistes réunis au palais de Carthage et en présence de plusieurs ministres.
Pour M. Caïd Essebsi, le moment est grave et plus de temps à perdre. Il faut tout d’abord restaurer la sécurité pour pouvoir travailler. «Mais pour travailler, il faut être honnête, transparent et avoir les mains propres», a-t-il dit en citant des versets coraniques. Caïd Essebsi a aussi passé en revue les raisons qui l’ont poussé à accepter cette responsabilité. «Lorsque le président par intérim m’a proposé le premier ministère, je ne vous cache pas, j’étais hésitant. J’ai travaillé pour mon pays pendant 35 ans et j’ai cru que j’ai tout donné, que c’était suffisant et qu’il était temps de me reposer et de m’occuper de ma famille, d’avoir un peu de temps pour mes petits enfants. Mon épouse m’a rappelé que je n’ai pas vu grandir mes enfants. Mais après mûre réflexion, le devoir de la patrie m’a dicté ce qu’il fallait faire même si la responsabilité est si lourde et délicate. Ce qui me reste à vivre, je vais le consacrer à mon pays…», a-t-il dit. Et d’ajouter que les années ont certes leur poids, qu’il a fini par écrire un livre, il y a deux ans où il a raconté la Tunisie libre et indépendante et l’Etat souverain dont l’arabe est sa langue et l’Islam est sa religion.
Après le déluge, la construction
«Après la révolution, certes menée par des jeunes, mais non encadrée et sans leader, il y a eu des difficultés pour établir l’ordre. Notre responsabilité est lourde mais je suis prêt pour travailler mon pays et peu importe mon âge», a-t-il dit avant d’ajouter sur une note d’humour, qui sera désormais la marque de l’exécutif de transition: «La jeunesse ne se compte pas par le nombre d’années. La jeunesse est un état d’esprit et pas un état civil».
Le gouvernement nouveau sera constitué en deux jours, a promis Caïd Essebsi. «J’ai dit aux ministres, a-t-il ajouté, celui qui veut démissionner qu’il le fasse et celui qui veut collaborer qu’il s’engage pour le bien du pays». Traduire : pas de place dans le gouvernement pour les ministres qui ambitionnent de présenter leur candidature à la présidentielle.
Evoquant ensuite les Rcdéistes, membres de l’ex-parti au pouvoir, «qui ne partagent pas notre avis», le Premier ministre s’est montré tolérant: «Nous composons avec leur différence. Nos ancêtres nous ont légué un Etat sans présence étrangère, qui a libéré la femme et a généralisé l’éducation dans le pays.»
A l’aube des années 1950, le nouvel Etat indépendant a tout fait pour combattre l’illettrisme, a rappelé M. Caïd Essebsi. Conséquence de ce choix: «Aujourd’hui, nous avons 150.000 diplômés chômeurs. Chaque année, nous avons 8.000 nouveaux diplômés qui s’ajoutent à ce nombre et il serait bien d’essayer de résorber la moitié.» Comment résoudre ce problème qui a été à l’origine du déclenchement de la révolte à Sidi Bouzid? La Tunisie a des acquis. La Tunisie a des amis à l’étranger. Les étrangers aiment prendre l’exemple de la Tunisie pour se construire.» En d’autres termes, l’aide étrangère pourrait aider la Tunisie à se reconstruire.
Rétablir l’ordre et la sécurité
«Les deux décennies sous le règne d’une bande de malfaiteurs, qui a mis la main sur les biens du pays, mangé de la chair du peuple et bu de son sang, ont un poids», a déclaré le Premier ministre, par allusion à l’ex-président et à son clan. Et d’expliquer: «Le pays a été sous la cape de ces loups et j’espère que tout va changer».
Un autre point important a été soulevé par M. Caïd Essebsi: c’est la coupure totale et radicale avec l’ancien régime. A ce propos, le Premier ministre par intérim se veut ferme: «C’est comme des fils de soie à démêler d’une boule d’épines. C’est une autre tâche ardue. Avec le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice, on est en train de voir de près et avec beaucoup de sérieux la situation des juges (il veut dire les juges corrompus, Ndlr) et il nous faut plusieurs réunions pour prendre une telle ou telle décision en leur encontre. Concernant les accusés, nous n’allons épargner personne, ni l’ancien président, ni n’importe quel autre symbole de l’ancien régime ou autres pions de la dictature. Pour moi, un président qui a quitté le pays et s’est enfoui, c’est comme un général qui a lâché l’armée, il doit être jugé et mérite la mort».
Quant au plan de travail annoncé la veille par le président, M. Caïd Essebsi a dit qu’après une étude fondée, M. Mbazaa était clair. L’essentiel est de restaurer l’image de l’Etat qui s’est trop dégradée, de rétablir l’ordre, d'assurer la sécurité des citoyens, celle des institutions et celle des régions. Nous n’avons pas de temps à perdre, car nous sommes au bord du gouffre. Les responsables de l’Etat ont découvert des cas pourris et pour remettre tout en place, ce n’est pas facile. Cette tâche ne va pas être accomplie en une semaine, en un mois ou deux ou même trois. Nous avons commencé et donnez-nous le temps qu’il faut pour le faire», a précisé M. Caïd Essebsi.
Suspension de la Constitution de 1959
D’un autre côté, le Premier ministre comprend bien la réaction des jeunes qui ont été opprimés pendant deux décennies, qui ont fait renverser le régime qui les opprimait et qui ont le droit de s’éclater dans un climat de liberté, de faire le sit-in à La Kasbah ou à La Coupole d’El Menzah. «Ils ont droit de s’exprimer. Mais pour que le pays ne tombe pas, il faut revenir au travail. Les experts disent que le développement du pays a été toujours de 8 à 9%, mais après la révolte, il s’approche du zéro. Comment allons-nous avancer avec ce taux? Nous avons besoin de la coopération internationale, et si ça continue, il y a risque que les étrangers et les touristes ne souhaitent plus revenir.»
Le Premier ministre revient à la feuille de route tracée par le président par intérim, et qui vise à restaurer la légitimité populaire. «Il y aura dans même pas 4 mois des élections. Nous avons décidé que le président par intérim et le Premier ministre ne se présenteront pas à l’élection présidentielle, et les ministres désireux de se présenter à la présidentielle doivent se retirer de l’actuel gouvernement et qu’ils aillent faire leur campagne. Nous avons décidé la rupture définitive avec l’ancien régime et la suspension de la Constitution de 1959», précise le Premier ministre.
Interrogé sur l’avenir des journalistes de Dar Al-Amal, appartenant à l’ex-parti unique dissous, le Premier ministre a affirmé que les médias assument un rôle majeur dans le processus démocratique, en ce sens qu'ils contribuent à mieux faire connaître l’activité du gouvernement, à épauler ses efforts et à consacrer l’union nationale, mettant ainsi l’accent sur le souci du gouvernement provisoire d’accorder toute l’attention à ce secteur afin qu’il soit libre, transparent, responsable...
Zohra Abid