manoubia bouazizi
La vie est loin d’être un fleuve tranquille pour Mannoubia, la mère de Mohamed Bouazizi, mort suite aux brûlures du quatrième degré. Ce geste héroïque l’a rendu célèbre dans le monde entier. Car il a causé la chute de trois dictateurs et la liste n’est pas close.
Par Ali Ben Mabrouk


Mohamed Bouazizi avait trois ans quand son père, maçon de son état, est décédé suite à un accident de travail en Libye. Sa mère a du batailler très fort pour élever seule ses trois enfant de bas âge. On peut dire que la vie ne l’a pas épargnée à Sidi Bouzid, ville agricole où il ne pleut pas assez pour permettre une bonne récolte d’olives chaque année. Le brave Bouazizi a du quitter l’école dès l’âge de douze ans pour aller travailler dans les champs pour aider sa pauvre mère à subvenir aux besoins de la famille.

Un visage radieux
Doué d’un sens aigu du commerce, le jeune Bouazizi se lança dans la vente des fruits à la station des taxis de Sidi Bouzid située tout près du siège du gouvernorat. Il s’est façonné un petit chariot ambulant, conçu spécialement pour des petites quantités de bananes, poires et oranges. Le capital était si maigre, il ne pouvait se permettre de se hasarder avec des grosses quantités difficiles à transporter. En plus les agents municipaux pouvaient à tout moment émerger de nulle part pour s’emparer de son commerce.


Mannoubia Bouazizi et l'une de ses filles

Ce qui est arrivé  ce vendredi 17 décembre 2010. Sa mère se rappelait ce matin de bonne heure, avant de quitter son domicile pour aller cueillir des olives dans un champ situé à quelque vingt kms de Sidi Bouzid, elle a jeté un regard à la chambre des enfants. A côté de Mohamed, son demi frère Ziad dormait paisiblement, mais le plus frappant dans cette scène, et qui a visiblement marqué la mère, c’était le visage rayonnant de bonheur qu’affichait Mohamed. Il avait le regard heureux. A moins un elle allait embrasser ce visage radieux mais elle s’est ravisant se disant: que va-t-il penser ce jeune homme plein de vie en voyant sa mère l’embrasser à six heures du matin? Elle s’est contentée de lui souhaiter en murmurant ces quelques mots: «Que Dieu soit avec toi mon fils dans tous tes actes.»

Un corps calciné et sans odeur
C’était la dernière fois qu’elle le voyait vivant en train de respirer. Pendant tout le temps qu’il a passé à l’hôpital des grands brûlés de Ben Arous, il était pratiquement mort, son corps calciné ne pouvait produire aucune odeur. De temps en temps, on le changeait de position comme disaient les docteurs soignants pour que le sang puisse circuler dans ses veines, mais pour Mannoubia Bouazizi son cœur lui disait que son fils est bel et bien mort.
C’est une certaine Fayda Hamdi, agent de contrôle à la municipalité de Sidi Bouzid qui l’a tué. Elle l’a giflé parce qu’il a osé lui arracher des mains la balance électronique qu’elle voulait lui confisquer. Une balance que le pauvre Bouazizi a empruntée chez un ami. Non seulement elle l’a giflé mais elle a appelé à son secours ses collègues pour venir le tabasser et le ruer de coups de pied. Tout cela est arrivé  lors du contrôle et la confiscation de ses biens car le jeune Bouazizi a appelé au téléphone son oncle maternel, pharmacien fort connu à Sidi Bouzid, qui a accouru au plus vite en sa faveur auprès des agents de contrôle.
Cette intervention a déplu à la jeune contrôleuse qui a voulu se venger en confisquant la maudite balance électronique. C’est cette balance que Mohamed Bouazizi a voulu récupérer en se rendant quelques instants après à la mairie où personne n’a voulu lui prêter la moindre oreille.
Déçu et chagriné par ce mauvais accueil, il s’est adressé au siège du gouvernorat et a demandé à voir le gouverneur. Hélas c’est toujours le même refus de l’écouter observé  par les fonctionnaires de l’Etat qui n’ont rien à fouetter des doléances d’un pauvre petit marchand ambulant.

L’extincteur du gouvernorat était vide
Devant tout ce mépris, il a confié à un de ses amis les plus proches qu’il sait comment les ébranler. Cet ami était loin de se douter qu’il allait acheter de l’essence et s’immoler devant le siège du gouvernorat.
Quand son corps a pris feu, les agents de sécurité du gouvernorat ne pouvaient se hasarder à l’approcher de peur de prendre feu eux-mêmes. Il a fallu que quelques passants courageux interviennent pour tenter de le sauver en vain et même l’extincteur du gouvernorat était vide et ne pouvait être d’aucun secours. Quand l’ambulance est arrivée, le corps de Mohamed Bouazizi était encore en feu et même lors de son admission à l’hôpital de Sidi Bouzid, un proche parent de Mohamed Bouazizi, l’interne de garde à l’hôpital, a affirmé avoir entendu Mohamed Bouazizi dire ses ultimes prières, il a remarqué la gravité des brûlures, et comme l’hôpital de Sidi Bouzid n’est pas équipé pour ce genre de brûlures, il a ordonné qu’il soit transporté à l’hôpital de Sfax.
Une heure et demie de route ont aggravé la situation d’un corps déjà carbonisé. A Sfax c’est le même scénario, le corps de Mohamed Bouazizi était complètement calciné, il fallait le transporter par hélicoptère vers l’hôpital des grands brûlés à Ben Arous, mais on s’est dit à quoi bon gaspiller tout ce kérosène du moment que le pauvre Mohamed Bouazizi n’est plus récupérable.
A Ben Arous, Mannoubia Bouazizi fut approchée par l’un des conseillers du président déchu qui l’a invitée à se rendre au palais de Carthage pour y raconter sa mésaventure. Selon ses dires, l’ex-président a ordonné l’arrestation de Fayda Hamdi ainsi que ses deux collègues, puis il a rendu une visite à l’hôpital des grands brûlés où le pauvre Mohamed Bouazizi gisait inanimé.

Plus de 20.000  personnes aux funérailles
On a attendu jusqu’au 4 janvier 2011 après les fêtes de fin d’année pour annoncer la mort du jeune martyre de Sidi Bouzid. Plus de 20.000  personnes ont assisté aux funérailles du brave Mohamed Bouazizi. Ce jour là quelque 4.000 véhicules se sont rendus à Sidi Bouzid. Seul un membre du gouvernement qui a préféré garder l’anonymat a présenté ses condoléances par téléphone à  la mère de Mohamed Bouazizi.
Depuis le 19 décembre 2010 à ce jour là, Manoubia Bouazizi  n’a pas cessé de recevoir des journalistes de tous les pays de la planète. Les médias tunisiens ne sont accourus vers elle qu’après le 14 janvier 2011 et c’est pour cette raison qu’elle a refusé de les recevoir et on peut lui donner raison car au fond d’elle-même, elle le pense et elle le dit très clairement: quand j’avais besoin des médias tunisiens, aucun journaliste n’est accouru à mon secours. Aujourd’hui ils veulent organiser des débats en direct, rien que pour augmenter leur audimat. Son fils est mort et il ne retournera pas, toute sa vie Mohamed Bouazizi rêvait d’acheter une 404 bâchée pour exercer librement son commerce.

Mannoubia refuse 20.000 dinars de dédommagement  
Après sa mort, le gouvernement tunisien provisoire a offert la somme de 20.000 dinars comme dédommagement à la mère de Bouazizi qu’elle a refusée.  Mohamed n’est plus là pour acheter la camionnette, donc cet argent n’est plus nécessaire.
En bonne croyante, elle accepte la volonté de Dieu, mais elle ne pourra jamais pardonner à cette Fayda Hamdi. qui a humilié son jeune fils et l’a poussé à mettre fin à ses jours car une vie sans dignité ne vaut pas la peine d’être vécue.
Mohamed Bouazizi était un homme pieux, pratiquant mais loin d’être fanatique. Il était généreux mais refusait la corruption. Sa demi-sœur Besma, âgée de 15 ans, le décrit comme un ange, elle ne cesse de répéter combien il était content chaque fois qu’il lui donnait de l’argent de poche. Il était son ange-gardien, elle n’est pas prête de l’oublier et refuse de croire qu’il est mort car, d’après sa conviction, les anges vivent au paradis et ne meurent pas.
Mannoubia Bouazizi est affligée par la perte de son fils mais, au fond d’elle-même, elle est fière d’avoir donné naissance à un héros dont le nom sera gravé dans tous les esprits. Elle dit avoir perdu un fils mais le monde a gagné un nouveau leader pour ceux qui aspirent à plus de liberté et de démocratie.
Qui aurait cru un jour que Ben Ali puisse dégager du jour au lendemain? Qui aurait pu imaginer voir Moubarak suppléer son peuple pour le laisser mourir en Egypte? Qui aurait pu dire à Kadhafi dégage, lui qui croyait être aimé par tous les Libyens?