Les trafiquants de drogue en France se recrutent-ils essentiellement parmi les Noirs et les Arabes issus de l’immigration, comme l’affirme un certain Eric Zemmour sur les plateaux de télévision française ? Que disent les statistiques officielles à ce sujet ? Par Ridha Kéfi
Chroniqueur au quotidien parisien ‘‘Le Figaro’’, Éric Zemmour sévit aussi dans l’émission de Laurent Ruquier ‘‘On n’est pas couchés’’, diffusé samedi en fin de soirée sur France 2. Intellectuel de droite, plus proche de l’extrême-droite que de la droite libérale traditionnelle, ce polémiste têtu et excité s’est souvent illustré par ses opinions de type raciste.
Ainsi, le 6 mars dernier, au cours de l’émission de Thierry Ardisson ‘‘Salut les Terriens’’ sur Canal +, a-t-il affirmé sans ciller que : «les Français issus de l’immigration (sont) plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… c’est un fait».
Cette phrase qui suinte la haine raciste n’a pas manqué de susciter la polémique. Mais pas au point de pousser Zemmour à revenir sur ses propos ou à présenter des excuses pour tous ceux que ses mots ont blessés. Au contraire : ce dernier a cru devoir enfoncer davantage le clou en déclarant, le 9 mars, dans ‘‘Le Parisien’’: «Ce n’est pas un dérapage, c’est une vérité. Je ne dis pas que tous les Noirs et les Arabes sont des délinquants ! Je dis juste qu’ils sont plus contrôlés parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux.»
Nous n’irons pas jusqu’à lancer à cet agité des plateaux de télévision, comme l’a du reste fait un autre agitateur controversé, l’humoriste Dieudonné, dans une vidéo circulant sur le net : «Tu as trahi le Maghreb et tu continues à le faire», par allusion à sa famille française juive originaire d’Algérie. Nous nous contenterons d’apporter un démenti formel à son affirmation péremptoire sur le lien quasi-organique qui existerait, selon ses allégations, entre les «Noirs et les Arabes» et le trafic de drogue en France.
Le volume de statistique judiciaire française de 2008 dénombre 9 871 personnes condamnées dans l’Hexagone pour trafic, commerce ou transport de drogue, dont 78% de Français et 22% d’étrangers. Parmi ces étrangers condamnés, un quart «seulement» est constitué de ressortissants des trois pays du Maghreb, avec une prédominance du Maroc (principal producteur de cannabis alimentant le marché français).
La statistique française ne fait certes pas (encore ?) de différence entre les Français de souche (ou blancs) et les Français d’origines ethniques (ou «de couleur») – même si Zemmour et ses semblables souhaiteraient bien qu’elle y vienne un jour –. Elle n’en apporte pas moins la preuve que la part des Noirs et des Arabes dans la population carcérale purgeant des peines pour trafic de drogue en France reste tout de même dans les limites statistiquement normale. Les Noirs et les Arabes – et il s’agit souvent de Maghrébins – ne sont pas plus portés sur la délinquance que les Français pur jus. La grande criminalité, y compris les gros bonnets de la drogue, sont en majorité des «blancs».
Ce qui est écœurant dans cette affaire, et qui choque les Noirs et les Arabes, autant que les Français de souche que révulse le racisme, c’est que Zemmour semble s’en être sorti sans un rappel à l’ordre sérieux. Ses employeurs (‘‘Le Figaro’’ et/ou France 2), dont il a pourtant terni l’image, ne lui ont même pas infligé un blâme. Ce qui aurait été, tout le monde en convient, la moindre des corrections.
Imaginons maintenant ce qui serait advenu de quelqu’un – qu’il soit Français de souche, arabe ou noir, qui aurait produit, au cours d’une émission télévisée française, une prose raciste à l’endroit des juifs… Quel ciel et quelle terre on n’aurait pas remué ?