«Les experts les plus optimistes estiment qu’il faut au moins 22 semaines pour préparer une élection après la promulgation du Code électorale. On va pouvoir y arriver en quatre mois».
C’est ce qu’a affirmé Iyadh Ben Achour, président Conseil de l’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, dans son intervention au séminaire international sur le thème: «Expériences de transition démocratique: Quelle voie pour la Tunisie » organisé le 9 mars à l’hôtel Golden Tulip, à Gammarth, par l’Association de recherche sur la démocratie et le développement (AR2D), fondée récemment et dirigée par l’économiste Azzam Mahjoub, l’Institut pour les études de sécurité dépendant (Iesue) de l’Union européenne, l’Instituto de Estudos Estratégicos E Internacionais (Ieei, Portugal), le Centre des études et recherche en sciences sociales (Cerss, Maroc).
Le ‘‘retour à la lucidité’’
Le séminaire, qui a réuni des experts et des universitaires de Tunisie, Maroc, France, Espagne, Portugal, Afrique du Sud et Pologne, a été l’occasion de partir des interrogations et des défis relatifs au processus de transition en Tunisie en questionnant d’autres expériences de transition démocratique.
Au début de son intervention, M. Ben Achour a souligné la soudaineté de la révolution tunisienne qui a surpris tous les observateurs, y compris ses premiers protagonistes. «Les Tunisiens pensaient être dans une dérive monarchique, avec la préparation d’une régence de l’épouse de l’ex-président et de son gendre avant une passation du pouvoir pour le fils», a-t-il dit. Et d’expliquer: «La dictature avait tout pour durer. Mais c’est elle qui, paradoxalement, nous [les Tunisiens, ndlr] a ramenés à la conscience politique, ou à ce que Taoufik El Hakim appelle le ‘‘retour à la lucidité’’. Le vœu que l’on forme aujourd’hui est que ce retour à la lucidité soit définitif. La garantie essentielle du non-retour de la dictature étant cette conscience et cette lucidité retrouvées.» En d’autres termes, les Tunisiens sont les seuls gardiens de leur futur. «Tout ce que je suis en train de faire pour aider à la réussite de la transition démocratique est peu de chose devant l’esprit civique majoritaire [des Tunisiens] qui a changé», a ajouté le conférencier pour souligner davantage la responsabilité collective de ses concitoyens dans l’issue à donner à leur révolution.
L’éradication des vieux démons
Cette révolution fait face, selon M. Ben Achour, à plusieurs défis. Le premier défi est «cosmologique» et réside dans «l’éradication des vieux démons». «Ces démons ont certes été combattus, mais, en politique, il ne faut pas rêver, le combat va durer encore longtemps», a prévenu le professeur de droit constitutionnel. Et pour cause, a-t-il expliqué: «Les ondes de choc sont susceptibles de revenir et de déstabiliser la société.»
Que faire pour éviter le retour en arrière? Réponse du conférencier: «Nous devons maîtriser l’onde de choc en maîtrisant tous les vecteurs de la déstabilisation». Et ce par l’ordre et la discipline. Car, a-t-il expliqué, «la première liberté c’est l’ordre social. Les autres libertés peuvent revenir avec la stabilité politique et sociale.» Et d’insister sur la nécessité du retour au calme et de la restauration de l’ordre publique: «La démocratie est une discipline de toutes les activités et organisations sociales. C’est le défi de l’ordre et de la discipline des mœurs. C’est le défi de la discipline politique. Si nous voulons arriver à une démocratie réelle, ne nous battons pas sur les détails». Autrement dit, «il s’agit d’être rigide sur les principes et souple sur les moyens. Eviter de diviser les rangs de la société. Il ne s’agit pas de tout concéder mais être plus souple sur les moyens pour passer du néant démocratique à l’existence d’une société démocratique réelle». C’est là «un pari extrêmement difficile», a concédé le conférencier, mais ce pari est aussi exaltant que réalisable, même si sa réalisation pose un autre défi, celui du temps.
Arrivé à ce point de son intervention, M. Ben Achour s’est autorisé une digression historico-philosophique: «L’idée de démocratie est née en Italie au 14e siècle grâce aux poètes et aux artistes. Gagner le pari du temps, c’est gagner le pari de la démocratie comme étant un pari culturel.»
Les conditions techniques de l’élection
Pour la Tunisie, cependant, le temps qui sépare les citoyens des premières élections libres et transparentes est très court. «Comment organiser des élections libres et démocratique d’ici le 24 juillet alors qu’on n’en a jamais organisées auparavant?», s’interroge M. Ben Achour. La tâche est dure, presque impossible. Car, il faut changer le code électoral et mettre en place les conditions techniques de l’élection: 7 millions d’enveloppes, des dizaines de milliers d’urnes, une administration neutre, 15.000 à 18.000 agents électoraux, etc. «Les experts les plus optimistes estiment qu’il faut au moins 22 semaines pour préparer une élection après la promulgation du code électorale», a rappelé M. Ben Achour. Comment la Tunisie va-t-elle pouvoir y arriver en quatre mois? Réponse du conférencier: «Nous devons réduire le nombre de bureaux de vote de 13.000 à 5.000 ou 6.000, former suffisamment d’agents électoraux, etc. Nous avons des ressources et des moyens pour le faire et nous allons y parvenir avec l’aide de nos amis de l’Union européenne.»
R. K.