Extrait du rapport ‘‘The Arab democratic wave: How the EU can seize the moment’’ (La vague démocratique arabe: Comment l'UE peut saisir le moment), publié début mars par l’Institute for Security Studies*.
La Tunisie, après la fuite de son dictateur, a entamé la première phase de son processus de transition vers la démocratie. Une étape cruciale car les défis sont multiples.
Les forces de l’opposition à la révolution sont à l’œuvre. Certains groupes, liés à l’ancien dictateur, sont issus directement ou indirectement, par instrumentalisation ou manipulation, des services de sécurité et/ou des milices du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), l’ancien parti au pouvoir. Composés d’anciens repris de justice ayant pris la fuite pendant la révolution, ils ont une capacité de nuisance non négligeable dans la mesure où ils sèment la terreur par des actes de violence et de pillage, voire par le biais de rumeurs et d’une «intox» déstabilisant la population.
Révolution et contre-révolution
D’autres acteurs s’efforcent quant à eux de détourner le processus de transition démocratique vers un autre autoritarisme teinté de libéralisation politique contrôlée.
Cette contre-révolution a donc deux aspects: une forme violente et déstabilisatrice sur le plan sécuritaire et une forme plus pacifique mais néanmoins active pour contenir et dévier le processus de transition.
En face, différentes composantes civiles, favorables à la révolution au plan politique, en particulier l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) et l’Ordre des avocats, sont en train de constituer un Conseil national de défense de la révolution. L’objectif est de faire converger toutes les forces actives pro-révolution afin d’empêcher le blocage et/ou le détournement du processus de transition. De l’issue de cette confrontation dépendra le sort de la Tunisie.
Le risque d’instrumentalisation de la contestation sociale
Le deuxième grand défi est d’ordre social et surtout économique. La multitude de mouvements de revendication sociale (grèves, occupation de locaux, etc.) est un phénomène sans précédent. La contestation particulièrement forte met encore davantage en difficulté le gouvernement provisoire, dont la crédibilité demeure fragile. Ses capacités économiques et financières n’étant pas illimitées, la Tunisie pourrait bien se retrouver dans l’impasse. Un pacte social se révèle nécessaire aujourd’hui pour canaliser les revendications sociales, par ailleurs légitimes. Mais il existe un risque bien réel que la contestation sociale soit instrumentalisée pour alimenter le climat d’insécurité et renforcer le camp de la contre-révolution active ou passive.
Le troisième défi est, cela va de soi, d’ordre politique. Une réforme dans ce domaine est vitale. La question se pose de savoir si le gouvernement provisoire actuel, avec sa Commission de la réforme politique, a la crédibilité et l’efficacité nécessaires pour mener à bien cette réforme en utilisant directement ou indirectement les institutions et la législation actuelles: l’Assemblée nationale et la Chambre des conseillers du Rcd, mais aussi et surtout la Constitution actuelle, taillée sur mesure pour le président déchu. On peut également se demander vers quelles élections il faut s’orienter à ce stade: président de la république ou assemblée constituante? Le débat reste ouvert.
Un compromis entre ceux qui se réclament du camp de la défense de la révolution, du gouvernement provisoire et de la Commission nationale de la réforme est-il possible?
Sans un consensus sur la définition des étapes à franchir et des objectifs à atteindre pour instaurer un système politique démocratique, le processus risque de patiner.
Qu’attendre de l’Union européenne ?
La réponse est simple: l’UE doit soutenir et accompagner la Tunisie face aux défis qu’elle doit relever dans les différentes étapes du processus de transition, aux niveaux tant social et économique que politique.
L’idée d’une conférence internationale pour aider la Tunisie est la bienvenue, dans cette phase difficile de transition, caractérisée par un important manque à gagner en matière d’exportations (tourisme en particulier), mais aussi des dommages matériels et des dépenses publiques nécessaires pour satisfaire une demande sociale multiple et urgente (emplois, salaires, etc.). Les amis de la révolution tunisienne peuvent aider le pays à faire l’économie d’une nouvelle crise économique aiguë déstabilisant l’ensemble du processus de transition. Ce point est crucial.
L’UE doit être à l’écoute non seulement du gouvernement provisoire pour répondre aux besoins urgents exprimés, mais aussi de toutes les composantes de la société civile pour contribuer à son renforcement si indispensable dans cette construction démocratique. De plus, l’UE peut, par son savoir-faire, contribuer au processus de réforme politique, y compris à l’organisation et à la supervision du processus électoral.
À terme, c’est le paradigme du partenariat avec les pays du Sud devenus démocratiques qui doit être révisé par l’UE. L’équation sécurité-stabilité versus autoritarisme au Sud est devenue caduque. Même le statut avancé doit être remis en cause pour imaginer, d’une manière concertée, une forme nouvelle de communauté d’États démocratiques.
* Le rapport a été réalisé par un groupe d’experts méditerranéens, sous la direction d’Álvaro de Vasconcelos. Les contributeurs sont Amr Elshobaki, George Joffé, Sami Kamil, Erwan Lannon, Azzam Mahjoub, Luis Martinez, Mohammed Al-Masri, Gema Martín Muñoz, Mouin Rabbani, Abdallah Saaf et Paul Salem.