La visite en Tunisie de la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, jeudi, a été marquée, comme attendu, par un succès officiel et un rejet populaire, l’un et l’autre très compréhensible.


Arrivée à Tunis tard mercredi soir, en provenance du Caire après avoir participé à la réunion du G8 à Paris, l’hôte américaine a été reçue, mercredi matin, au palais de Carthage, par Foued Mebazaa. Le président de la république par intérim a réaffirmé, à cette occasion, les étroites relations historiques établies entre les deux pays amis et la nécessité de les renforcer dans tous les domaines. Il a mis l’accent aussi sur les pas importants franchis par la Tunisie, après la révolution du 14 janvier, sur la voie de la transition démocratique. M. Mebazaa a passé en revue également les efforts déployés pour consolider les fondements de l’Etat de droit et des institutions, renforcer les droits de l’Homme et favoriser les libertés fondamentales. Il n’a pas omis de souligner les priorités de la période à venir, notamment le développement des régions défavorisées, la création de postes d’emploi et l’amélioration des conditions de vie des habitants.

«Un exemple à suivre»
De son côté, Mme Clinton a exprimé sa grande admiration pour la révolution tunisienne qui, a-t-elle dit, constitue «un évènement historique majeur» et «un exemple à suivre», formant l’espoir de voir les objectifs de cette révolution se réaliser, notamment à la lumière des réformes engagées par les Tunisiens à tous les niveaux. Elle a, dans ce contexte, fait part de la disposition des Etats Unis à apporter son soutien à la Tunisie, au cours de cette étape importante et délicate, afin de réussir sa transition et de réaliser les aspirations du peuple tunisien à un lendemain meilleur, réaffirmant la volonté des Etats-Unis d’Amérique de raffermir la coopération bilatérale dans le domaine économique et de renforcer l’investissement dans les régions prioritaires.
Mme Clinton, qui a eu des entretiens avec le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, et le ministre des Affaires étrangères, Mouldi Kéfi, a effectué une visite au siège du Centre national de formation des volontaires relevant du Croissant rouge tunisien (Crt), à Megrine. Elle a loué l’action remarquable de cet organisme (et de tous les Tunisiens) en matière d’aides humanitaires sur la frontière tuniso-libyenne.
Ce centre a été créé à la faveur d’un don américain et est entré en activité au mois de mars 2008. Il organise des sessions de formation dans le domaine des aides humanitaires à l’échelle nationale, maghrébine et internationale.

Hommage aux jeunes tunisiens
La responsable américaine, qui voulait visiblement rendre hommage aux jeunes tunisiens qui ont fait la révolution, a participé à un talk-show sur le plateau de la chaîne privée Nessma TV, en présence d’un groupe de jeunes triés sur le volet, en majorité des jeunes femmes parlant anglais.
Par-delà la polémique suscitée par cette exclusivité accordée aux frères Karoui (ou plutôt à leur coactionnaire Tarak Ben Ammar), l’idée n’était pas mauvaise. Au contraire, Mme Clinton a joué le jeu et a répondu à toutes les questions avec une grande aisance. «La difficile tâche de bâtir une démocratie n'est pas aussi spectaculaire qu'une révolution. On la mène dans les bureaux, les maisons, les écoles, les édifices publics. C'est souvent frustrant (...) mais c'est ce qui reste à faire», a-t-elle dit. Une leçon de simplicité, de spontanéité et de professionnalisme que nos hommes politiques – souvent si mornes et tristes à en mourir – seraient bien inspirés de retenir. Rien que pour cela, le talk-show de Nessma TV était utile.

Rejet de l’hégémonie américaine
Reste que, comme il fallait s’y attendre, la visite de la secrétaire d’Etat américaine ne s’est pas passées sans anicroches. Au registre des ratés, le comportement fruste et hautain des chargés de la sécurité de Mme Clinton. La faute incombe au gouvernement tunisien, qui ne s’est pas montré ferme en ce qui concerne ses prérogatives, laissant l’initiative aux hôtes qui se sont comportés sans ménagement. Autre fausse note: les journalistes trimbalés entre le siège du ministère des Affaires étrangères et la Kasbah, où la conférence a finalement eu lieu dans des circonstances moyennement agitées.



Dire que les Américains continuent de traîner comme un boulet de fer leurs aventures militaires en Irak et en Afghanistan est un euphémisme. Les Tunisiens, qui n’ont pas oublié le sang versé de leurs frères irakiens, n’ont pas raté l’occasion pour crier leur rejet de la visite de la secrétaire d’Etat américaine.
Des manifestations anti-américaines ont ainsi été organisées qui ont perturbé le programme de la visite. Entamées deux jours auparavant à l’appel de Facebookers, ces manifestations hostiles ont été relayées jeudi dans le centre-ville de Tunis, notamment par des partisans du Hizb Ettahrir, formation islamiste radicale dont la légalisation a été du reste refusée ces derniers jours par les autorités tunisiennes. Les manifestants ont crié leur refus de «bases militaires» et du «colonialisme économique» des Américains, voyant dans la multiplication des visites des responsables états-uniens en Tunisie le signe d’une volonté d’influence hégémonique.

Des soupçons légitimes
On notera, à ce propos, que neuf jours seulement après la fuite de l’ex-président Ben Ali en Arabie saoudite, Washington a dépêché à Tunis un haut fonctionnaire du département d’Etat, Jeffrey Feltman. Le 23 février, le secrétaire d’Etat adjoint américain chargé des Affaires politiques, William Burns, a débarqué à son tour à Tunis, pour encourager les nouvelles autorités à «assurer la stabilité» et «organiser des élections libres et transparentes dans les meilleurs délais». Quelques jours auparavant, deux sénateurs John McCain et Joseph Lieberman, avaient effectué le voyage en Tunisie. «Le gouvernement américain et le Congrès sont aujourd’hui déterminés à soutenir la Tunisie durant cette importante période de transition. Notre rôle est de fournir une assistance urgente. La Tunisie constitue un exemple, pas seulement dans la région, mais dans le monde», avait dit le sénateur Mc Cain.
S’il est compréhensible – les Américains veulent comprendre ce qui se passe en Tunisie et prendre langue avec ses nouveaux dirigeants –, un tel empressement, au moment où toute la région est en ébullition, notamment la Libye voisine, a de quoi susciter des soupçons légitimes. Il incombe aux Américains de les dissiper par des gestes forts…

Imed Bahri