Les membres de la Commission de Venise*, qui ont effectué une visite de deux jours en Tunisie, ont proposé à leurs hôtes leur savoir-faire en matière de réflexion sur la constitution.


Si les membres de la Commission de Venise sont aujourd’hui parmi les hôtes de la Tunisie, c’est parce que notre pays y a adhéré depuis mai 2008 et qu’après la révolution, il a besoin d’un coup de pouce pour s’inscrire durablement dans la démocratie.

La révolution n’est pas l’anarchie
«Le sacrifice de Bouazizi est un sacrifice pour la dignité. Il faut que le processus qu’il a déclenché continue dans le bon sens. La révolution n’est pas l’anarchie, mais l’évolution vers une Tunisie nouvelle et moderne», a expliqué Gianni Buquicchio, président de la Commission de Venise, lors d’une conférence de presse, vendredi, au siège de l’ambassade turque à Tunis. Il a ajouté: «Votre succès serait bénéfique pour toute la région, sinon, en cas d’échec, ce serait plutôt la catastrophe, non seulement pour la Tunisie, mais pour toute la région.» M. Buquicchio a également prévenu: «C’est bien de se libérer d’un dictateur, mais il faut faire très attention. Il faut multiplier les débats politiques et réussir, coûte que coûte, l’élection de l’assemblée constituante. Ça prend le temps qu’il faut. Si les Tunisiens ne seront pas prêts pour le 24 juillet, ce n’est pas grave. Ils peuvent reporter d’une semaine ou deux voire un mois, le temps d’être au point.»
Pour contribuer à la formation du personnel qui serait chargé de l’organisation des élections et des opérations de vote, M. Buquicchio a proposé aux autorités tunisiennes le savoir-faire des experts de la Commission de Venise.

«Nous sommes optimistes»
Selon M. Buquicchio, la Tunisie dispose de bons juristes, technocrates, politiciens et chercheurs, et le pays est capable de réussir sa transition. «Nous avons le sentiment que ça va réussir et nous restons optimistes quant à l’avenir de la Tunisie, un pays qui a été le premier à faire sa révolution dans la région. Il doit être un exemple et n’a pas droit à la faute», a-t-il insisté.
Le président de la Commission de Venise a également déclaré: «Nous venons de nous entretenir avec M. Yadh Ben Achour. Il nous a dit que l’instance qu’il préside est critiquée. Nous savons que ce n’est pas facile de mettre tout le monde d’accord. Car, aujourd’hui, il y a euphorie et tout le monde veut participer à cette instance. Il faut tout d’abord avoir une attitude responsable et constructive. L’essentiel est que tout le monde se force pour que les efforts soient couronnés de succès. Il est indispensable d’écouter les responsables et la société civile. Chaque pays doit avoir sa propre constitution et la Tunisie doit se tailler la sienne, c’est-à-dire son costume sur mesure», a précisé M. Buquicchio.

Le printemps des partis
Interrogé sur le meilleur régime envisageable pour la Tunisie, M. Buquicchio a affirmé préférer, pour la Tunisie, un régime parlementaire. «Il vaut mieux un parlement constitué de plusieurs partis et de plusieurs opposants qu’un homme qui risque de gouverner seul et qui imposerait sa dictature. C’est l’intérêt de la majorité qui doit émerger», a-t-il expliqué.  
En ce qui concerne le nombre impressionnant de partis politiques créés en un laps de temps très court en Tunisie, M. Buquicchio s’est montré rassurant. «C’est normal. Avec le printemps, c’est l’éclosion des fleurs. C’est la saison des oiseaux», a-t-il répondu. Mais avec l’automne, beaucoup de ces partis vont disparaître et ils vont constituer une coalition.» Et d’ajouter : «Ne vous inquiétez pas, le phénomène est naturel. Vous avez déjà remarqué que tous les programmes se ressemblent et ils finiront par favoriser les grands partis.»
Pour le responsable européen, ce dont la Tunisie a le plus besoin aujourd’hui c’est de lois politiques sur le financement des élections, sur les réformes législatives, sur le droit aux manifestations, sur les lois électorales, etc. A cet égard, l’appui de la communauté internationale va être déterminant. Celle-ci est d’ailleurs fortement mobilisée et montre un énorme élan de solidarité.
L’ambassadeur de Turquie à Tunis, Akin Algan, qui assistait à la conférence de presse a, de son côté, salué la révolution du 14 janvier, relevant que c’est une chance qui s’offre au pays pour instaurer un régime démocratique à l’instar des pays de l’Europe centrale et orientale. Il aurait pu ajouter aussi le nom de son pays, où la démocratie a apaisé et enrichi la vie politique, et permis un véritable essor économique et social qui l’habilite aujourd’hui à postuler à intégrer l’Union européenne.

Zohra Abid

* La Commission de Venise est une instance de réflexion juridique indépendante, la Commission européenne pour la démocratie par le droit – mieux connue sous le nom de Commission de Venise du Conseil de l’Europe – est devenue une référence en Europe en matière de conseil sur les normes de qualité de la démocratie. La Commission a débuté son activité en 1990, au lendemain de la chute du mur de Berlin. Elle a aidé les nouvelles démocraties de l’Europe de l’Est à adopter des constitutions en concordance avec la culture constitutionnelle européenne.