Bilan sans concession des actions des différents protagonistes de la scène politique tunisienne, qui devraient faire davantage d’efforts en matière de concertation, de coordination, d’organisation, de communication.
Par Rafik Souidi


Nous allons essayer de dresser un bilan critique et sans concession de l’action des principaux acteurs de la scène politique tunisienne et proposer d’éventuelles solutions aux problèmes soulevés.
Le gouvernement actuel devrait agir avec davantage de concertation pour éviter des ratés comme l’affaire des dernières nominations contestées au Conseil de l’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution dont nous attendons qu’il définisse clairement et avec justesse les objectifs pour qu’il n’y ait pas d’autre malentendu.
Par ailleurs, le gouvernement comporte toujours ces ministres made in France parachutés par Paris à qui il faudra beaucoup de temps pour s’adapter et, paradoxalement, toujours pas un seul représentant représentatif des régions de l’intérieur qui ont déclenché la Révolution... cherchez l’erreur!
Le Premier ministre, après sa visite réussie et judicieuse en Algérie et au Maroc, serait le bienvenu à Sidi Bouzid et Kasserine pour renouer le lien avec la Tunisie profonde. Quant aux ministres technocrates, ils gagneraient à sortir plus souvent de leurs ministères et à se rapprocher du terrain et de la population.
Les partis politiques ont eu l’air de prendre timidement leurs marques dans cette phase transitoire et de sortir de leur hibernation. En fait, il leur manque les moyens et les hommes pour être pleinement opérationnels et il va vite se poser la question de leur financement.
Les comités locaux de protection de la révolution n’ont pas fait d’effort de coordination au plan national, ce qui entame leur capacité d’action et leur visibilité. Il aurait été utile de créer un comité de liaison et de désigner un porte-parole officiel. Mises à part des initiatives isolées, ces comités ont rarement pris l’initiative alors que, par exemple, la plupart des municipalités étaient bonnes à prendre. Voilà une opportunité qui n’a pas été saisie par la révolution et qui lui aurait fourni la base logistique qui lui fait défaut.
La Commission pour l’établissement des faits en matière de corruption n’a toujours pas émis le moindre rapport d’étape qui permettrait aux avocats de se saisir des premières affaires sans perdre de temps. Cette commission se comporte passivement, comme une chambre d’enregistrement, alors qu’il conviendrait d’être «proactif» et de se doter des moyens nécessaires d’enquête et d’intervention à l’exemple du pôle financier que dirigeait la juge anti-corruption Eva Joly en France.
Il en va de même de l’autre commission d’investigation sur les récents événements. Des comptes-rendus réguliers seraient également utiles pour prendre des mesures préventives. L’Etat ne devrait pas lésiner sur les moyens à accorder à ces deux commissions car leurs missions sont de la plus haute importance nationale.
Les médias sont encore d’un niveau professionnel affligeant en particulier la presse écrite et la télévision nationale étatique. La Télévision nationale est l’enfant honteux du Rcd et de la police politique et elle est irrécupérable. Elle devrait être dissoute au même titre que ses parents. Ce serait là un acte de salubrité publique et de bonne gestion des deniers du contribuable. Quant aux chaines de télévision et de radio privées, l’identité de leurs actionnariats respectifs pose le problème de leur proximité de l’oligarchie complice de la dictature et on n’est pas à l’abri de tentatives grossières de manipulation de l’opinion.
Les citoyens ont eu tendance à abuser des manifestations de protestations comme s’il fallait rattraper le temps perdu et certains ont donné l’image de «pleureuses». Les insuffisances des acteurs ci-dessus mentionnés n’apaisent pas non plus leurs revendications quand ce ne sont pas des miliciens contre-révolutionnaires qui les attisent en distribuant de l’argent à des jeunes désoeuvrés. Mais c’est surtout le manque de représentativité dans le contexte d’une liberté récemment conquise qui peut expliquer fondamentalement ce phénomène.
La Kasbah et ses caravanes citoyennes ont obtenu, lors de leurs deux sit-in, des résultats importants dans le processus de démocratisation mais on attend maintenant de ce mouvement une maturation et une structuration pour agir durablement sur la scène politique.
En conclusion, les différents protagonistes de la scène politique tunisienne devraient faire davantage d’efforts en matière de concertation, de coordination, d’organisation, de communication afin de faire fructifier le processus révolutionnaire et faire avancer la démocratie.
Si la démocratie repose sur des principes simples comme la transparence, la concertation et la représentativité, elle nécessite aussi des organisations et des structures pour les mettre en œuvre qui, elles-mêmes, ont besoin de moyens financiers et humains pour accomplir correctement leurs missions.