uinversité libre tunis
Mohamed Bouebdelli, dirigeant d’un groupe privé d’établissements d’enseignement, est parmi les rares chefs d’entreprises à avoir tenu tête au régime de Ben Ali, malgré toutes les tracasseries et les harcèlements subis.


Dans son ouvrage ‘‘Le jour où j’ai réalisé que la Tunisie n’est plus un pays de liberté’’, publié (et interdit) sous Ben Ali, M. Bouebdelli raconte ses démêlés avec l’ancien régime et propose un ensemble de réformes politiques qui devraient aider la Tunisie à entrer de plain pied dans la modernité démocratique.
Kapitalis publie des extraits de cet ouvrage qui sera présenté ce soir à 18h30, à la librairie Art-Libris, à Salammbô. L’auteur y raconte les tentatives du régime de Ben Ali de mettre au pas ses établissements d’éducation.
«Entré dans mon pays en 1972 dans l’intention première de continuer une carrière d’ingénieur, j’ai commencé ma nouvelle vie en créant une entreprise de maintenance et de conseil en informatique.
«Cette première expérience m’a fait découvrir que le développement des jeunes entreprises comme la mienne allait être sérieusement handicapé du fait de la pénurie de techniciens et de cadres supérieurs qualifiés. C’est dans ces conditions que j’ai résolu de former mes propres techniciens en ouvrant en 1973 le premier ‘‘Institut supérieur d’informatique’’ privé en Tunisie: une avant-première. Dans les mêmes conditions, a été créé plus tard l’Intac, aujourd’hui très côté dans le monde entrepreneurial en raison de l’excellence de la formation de techniciens supérieurs et de cadres de gestion qu’il dispense depuis cette date.
«Ce fut un tournant dans ma vie professionnelle, car j’ai décidé de me dévouer entièrement au développement de ce premier institut créé dans un contexte social peu favorable aux initiatives privées dans ce domaine.

La reprise de ‘‘l’Ecole Jeanne d’Arc’’
«La voie était ainsi ouverte, je ne me suis pas arrêté là. En 1988, la Congrégation religieuse des Sœurs de Saint Joseph nous a confié, mon épouse et moi-même, la lourde responsabilité d’assurer la pérennité de leur œuvre en Tunisie, en nous demandant de reprendre l’institution privée d’enseignement ‘‘Emilie de Vialar’’ dite ‘‘Ecole Jeanne d’Arc’’, créée en 1936 en vue de la scolarisation des élèves de 5 à 15 ans (cycle primaire et cycle secondaire).
«Avec ces deux institutions encore en formation, il fallait faire des sacrifices importants et, même, prendre la décision de s’y consacrer pleinement. C’est ainsi que j’ai renoncé à toute autre activité et que j’ai décidé de me consacrer entièrement à ma nouvelle vocation d’éducateur. Mais je n’ai pas été le seul à prendre une telle décision. Mon épouse, française d’origine et tunisienne de cœur, Madeleine Bouebdelli, est expert-comptable de formation. Elle aussi, a décidé de renoncer à son métier pour se consacrer entièrement à la direction de ‘‘l’Ecole Jeanne d’Arc’’.
«Nous avons créé la Fondation Bouebdelli en vue de gérer cette importante institution éducationnelle. Grâce au dévouement, à l’abnégation et à la rigueur de Madame Bouebdelli, grâce au respect méticuleux de la loi et des règles de discipline dans les relations avec les élèves, ‘‘l’Ecole Jeanne d’Arc’’ s’est depuis plus de trente ans et sans interruption, classée première école primaire de tout le pays.
«Les résultats, qui n’ont jamais faibli depuis plus de vingt ans d’existence, ont été régulièrement parmi les plus brillants de tous les examens de fin d’études primaires et d’entrée aux cycles d’enseignement secondaire.



«Dès 1992, ‘‘l’Institut supérieur d’informatique’’, créé en 1973, a été transformé en une Université privée, dénommée ‘‘Université Libre de Tunis’’ (Ult), la première dans cette catégorie en Tunisie, et qui abrite aujourd’hui, une ‘‘Faculté’’ (droit, gestion), un ‘‘Institut polytechnique’’ et une ‘‘Ecole d’architecture’’. Les diplômes sont reconnus par l’Etat et dans un grand nombre de pays.
La création du ‘‘Lycée Louis Pasteur’’
«Notre dernière initiative a consisté à prolonger la mission de ‘‘l’Ecole Jeanne d’Arc’’, dont on se souvient qu’elle était dès le départ, une école d’enseignement primaire et d’enseignement secondaire en même temps.
«C’est ainsi que la Fondation Bouebdelli a pris l’initiative de la création en 2005 d’un établissement d’enseignement secondaire, que nous avons appelé ‘‘Lycée Louis Pasteur’’ et qui était destiné à animer une section chargée d’assurer une formation basée sur les programmes du baccalauréat français. Cette initiative a été prise en étroite collaboration avec l’Institut français de coopération auprès de l’ambassade de France à Tunis et avec la Chambre tuniso-française du commerce et de l’industrie.
«Ce lycée, dont nous avons voulu qu’il soit le symbole de la coopération culturelle mutuellement profitable entre la Tunisie et la France, en même temps qu’il soit le symbole de la francophonie et de l’esprit d’ouverture, de progrès et de modernisme qui l’anime, a démarré sous de très bons augures et il a bénéficié des meilleures conditions de fonctionnement pédagogique et de formation. Il n’était pas surprenant que dès les premières années de son existence, il a permis à ses élèves d’obtenir les meilleurs résultats aux examens du Brevet français.
«Dans l’ensemble de ces initiatives, les efforts de la Fondation Bouebdelli ont été couronnés de succès, et nous pouvons dire sans trop de fierté, que le nom ‘‘Bouebdelli’’ a été et est toujours, un ‘‘label de qualité’’, depuis l’enseignement primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, en passant par l’enseignement secondaire, la formation des techniciens supérieurs, dans la gestion, le droit, et dans l’ingénierie.
«La Fondation a toujours cultivé l’esprit d’excellence et toujours privilégié l’innovation pédagogique et la formation d’élites exigeantes et responsables pour notre cher pays.
«Rappelons que la Fondation a été la première à introduire l’enseignement obligatoire des langues étrangères – l’Anglais, l’Italien, l’Espagnol, l’Allemand et même le Chinois – dans ses enseignements depuis le primaire jusqu’au supérieur et que son principe en matière linguistique est le trilinguisme.
«De même, rappelons que, bien avant les autres établissements d’enseignement, publics ou privés, la Fondation Bouebdelli a introduit l’enseignement obligatoire de l’informatique dans ses enseignements à tous les niveaux, depuis le primaire jusqu’au supérieur.
«Soulignons aussi que la Fondation Bouebdelli a inscrit parmi ses missions, l’établissement de solides et fructueuses relations de coopération entre l’école et le monde du travail. C’est ainsi que, dans la très grande majorité, les diplômés des établissements universitaires relevant de la Fondation Bouebdelli obtiennent leur premier recrutement très rapidement et dès leur sortie de nos écoles ou facultés, et même avant la fin de leur stage de fin d’études!…
«Nous tenons encore à rappeler que plus de la moitié de l’effectif qu’accueille l’université actuellement, vient de pays frères ou amis appartenant à quatre continents différents : Monde arabe et musulman, Afrique, Asie et même d’Europe.
«Le nombre de nos étudiants étrangers n’a jamais régressé bien au contraire, il a toujours été en continuelle progression.

Intrusion de la force publique dans les locaux de l’école
«Quelle n’a pas été notre désolation le jour où, en raison du refus décidé en juin 2004 par le conseil de classe en application du règlement intérieur, de l’inscription d’une élève en 1ère année de notre collège pour insuffisance de niveau scolaire, notre école a reçu de la part du ministère de l’Education une véritable sommation. Il fallait inscrire immédiatement l’élève en question sous peine de fermeture de l’ensemble de l’établissement.
«Devant le refus de l’école de réviser sa décision parfaitement fondée et régulière, le ministère a, le 18 septembre 2004, c’est-à-dire tout à fait au début de l’année scolaire, pris la décision, irréfléchie et précipitée, de mettre en route sa machine répressive à une vitesse implacable, et jamais observée dans la pratique administrative ou judiciaire tunisienne.
«Dans les vingt quatre heures, le Tribunal de première instance de Tunis a émis l’ordre de destitution de Madeleine Bouebdelli, directrice de l’école, avec retrait de l’autorisation d’ouverture de l’établissement, blocage des comptes bancaires, nomination d’un directeur administrateur issu de l’enseignement public, et intrusion de la force publique dans les locaux de l’école, le tout constituant une véritable spoliation de biens privés protégés par la loi. Le nouveau ‘‘directeur’’ s’est hâté d’inscrire l’élève concernée.

Le harcèlement administratif
«Simultanément, une campagne de dénigrement dans les journaux affidés au pouvoir a été lancée contre l’école – dont on dénonçait le ‘‘sélectionnisme’’! – et contre toute la Fondation Bouebdelli, qui a fait l’objet d’une véritable curée à laquelle ont pris part pas moins de six ministères et divers organismes publics: ministère de l’Education, ministère de l’Intérieur, ministère de la Justice, ministère des Finances avec le déclenchement d’un contrôle fiscal ‘‘tous azimuts’’, ministère des Affaires sociales avec le déclenchement immédiat du contrôle de la Caisse de sécurité sociale, ministère de l’Enseignement supérieur, avec des menaces de représailles au niveau de l’Université libre de Tunis. Un ‘‘tsunami’’ n’aurait pas provoqué de plus grands remous…
«Le lendemain de la fermeture de l’école, les autorités se sont trouvées confrontées à une forte mobilisation des 1.400 élèves et de l’ensemble du corps enseignant. Tous contestaient avec force la décision arbitraire de limogeage de la direction et de la fermeture de l’Ecole. Un mouvement massif de protestation et de grève s’est rapidement développé. Il a conduit à la constitution d’une délégation des parents d’élèves qui ont demandé une entrevue avec les autorités concernées. Des soutiens nous sont parvenus de tout le territoire national aussi bien que de l’étranger, de France, des USA, du Canada, des pays du Golfe, des pays de l’Afrique de l’Ouest…
«Devant l’ampleur de ce mouvement de protestation et de soutien à notre institution éducationnelle et en raison de l’absence de motifs réels et sérieux d’une répression aussi injustifiée et en disproportion avec le prétexte pris pour la déclencher, le ministère de l’Education s’est trouvé contraint de revenir sur sa décision. Madeleine Bouebdelli a été rétablie dans ses fonctions de directrice de l’école, et celle-ci a repris son fonctionnement normal dans les jours qui ont suivi. Même la décision judiciaire prise à l’encontre de l’école a été annulée.
«Pour autant, l’irritation de l’administration ne s’est pas calmée. Elle a simplement changé de forme et se décline en mesures de harcèlements continus et multiformes contre l’école. C’est ainsi que, à titre d’exemple, un nouveau ‘‘Cahier des charges’’ – ayant un effet rétroactif – lui a été imposé par l’arrêté ministériel du 22 février 2008, qui a pour effet d’interdire le cumul dans un même établissement scolaire d’une section préparant les diplômes tunisiens et une section préparant des diplômes étrangers (cela vise évidemment le ‘‘Lycée Louis Pasteur’’).
«Le ministère a aussi interdit l’ouverture par les écoles de nouvelles annexes à l’extérieur de leurs murs. Cela vise en réalité notre projet d’ouverture d’une annexe de notre école à la Marsa, la banlieue nord de Tunis. Les mêmes dispositions ont décidé de modifier le nombre maximum d’élèves par classe ainsi que la superficie minimale de chacune des classes. Comme par hasard, cette superficie a été fixée impérativement à 42 m2, là où la superficie standard de nos classes est de 40 m2, ce qui nous a imposé la destruction de l’ensemble des classes construites en 1936, pour satisfaire à l’exigence de 2 m2 supplémentaires imposés par le ministère, qui, soit dit en passant, n’impose nullement de telles exigences à ses propres établissements scolaires… Mais le pouvoir ne s’est pas arrêté là.

La fermeture du lycée Louis Pasteur
lycée louis pasteur tunis«Au mois de mai 2007, le ministère compétent nous a, sans autre forme de procès et sans que cet ordre ait été accompagné d’aucune explication juridiquement valable, intimé l’ordre de fermer purement et simplement le lycée Louis Pasteur dès le 10 mai 2007, de ne plus faire de recrutement d’élèves au titre de la prochaine année scolaire, et d’orienter les élèves actuellement inscrits vers d’autres institutions similaires.
«Cette décision s’analyse comme un simple ‘‘fait du Prince’’. Ses motivations réelles ne sont nullement inspirées par de pures considérations d’intérêt général. On comprend, dès lors, toute l’émotion que cette décision inique a suscitée auprès de l’opinion publique, aussi bien tunisienne qu’internationale et que les médias, notamment à l’étranger, se soient saisis de l’affaire qu’ils ont analysée comme l’expression de l’arbitraire de l’Administration et d’une atteinte grave aux libertés individuelles et aux droits les mieux établis. Citons en quelques-uns: ‘‘Le Monde’’, ‘‘Libération’’, ‘‘L’Express’’, ‘‘Le Figaro’’, ‘‘Le Point’’, le journal ‘‘La Suisse’’, France 3, TSR 1, plusieurs journaux de langue arabe du Proche-Orient, plusieurs sites Internet comme ‘‘Rue 89’’ et ‘‘Bakchich.info’’… Le seul média tunisien à m’avoir défendu rigoureusement est la chaîne ‘‘Al Hiwar Attounssi’’, appartenant à Tahar Ben-Hassine et émettant à partir de Rome.
«Tous se sont demandé s’il ne s’agissait pas là d’une décision destinée à favoriser – même au prix d’une illégalité – une institution éducative qui venait d’être créée à cette date. Jusqu’à ce jour, le ‘‘Lycée Louis Pasteur’’ est resté fermé.

L’Université libre de Tunis dans le collimateur
«Enfin, une dernière offensive a eu lieu contre une autre institution éducationnelle relevant de la Fondation Bouebdelli : ‘‘l’Université libre de Tunis’’. Malgré l’adoption en 2000 d’une loi autorisant et réglementant l’investissement privé dans le domaine de l’enseignement supérieur et malgré la proclamation par le pouvoir de son intention d’associer le secteur privé à hauteur de 30.000 étudiants dans l’encadrement du flux estudiantin toujours croissant, ‘‘l’Université libre de Tunis’’ n’a cessé depuis sa création, de faire l’objet de mesures arbitraires de la part du ministère de l’Enseignement supérieur: ruptures de conventions de partenariat régulièrement conclues avec des universités nationales, et de conventions de coopérations conclues avec des universités étrangères, refus d’octroi à notre université des avantages financiers et autres pourtant expressément prévus par la loi, rejet de nombreux projets de développement de notre mission éducationnelle (refus de création de nombreux diplômes et de cycles d’études spécialisés ; refus de création d’un cycle de doctorat, etc.) ; harcèlement quasiment quotidien par une administration tatillonne visant à imposer à notre institution universitaire des conditions de fonctionnement (notamment en matière de locaux, d’équipements, de taux d’encadrement pédagogique, etc.) qu’elle oublie de demander aux établissements universitaires du secteur public ; contrôles administratifs, techniques, fiscaux, fréquents et pointilleux, etc.



«La dernière manifestation de cet état d’esprit a été l’adoption de la loi du 4 août 2008. La lecture de ses dispositions donnerait à penser qu’il s’agirait d’une loi tout à fait ordinaire. En fait, ce ne sont là que des apparences. En effet, la loi du 4 août 2008 a prescrit l’adoption d’un nouveau ‘‘Cahier des charges’’ auquel doivent se soumettre les établissements privés d’enseignement supérieur, mais qui se trouve avoir un effet rétroactif.
«Elle prévoit aussi qu’un promoteur ne peut être à la tête que d’un seul projet dans l’enseignement supérieur. Que tout établissement d’enseignement supérieur privé doit avoir un capital de 2.000.000 de dinars au moins (soit environ 1.000. 000 d’euros) alors que l’ancienne loi prévoyait 150.000 dinars de capital soit l’équivalant de 75.000 euros, c’est-à-dire 13 fois plus. La nouvelle loi prévoit encore que tous les établissements privés d’enseignement supérieur ont un délai de deux ans pour ‘‘se mettre en règle avec les dispositions’’ de la dite loi, faute de quoi l’autorité ministérielle aura le pouvoir d’ordonner purement et simplement la fermeture des dits établissements. ‘‘Last but not the least’’, cette loi interdit aux établissements privés d’enseignement supérieur de prendre le titre ‘‘d’Université’’ et elle leur enjoint de se limiter au titre de ‘‘Faculté’’, ‘‘Institut’’, ou ‘‘Ecole’’.
«Or, si on examine concrètement l’application des dispositions de cette loi, on s’apercevra qu’elle vise en fait et très directement ‘‘l’Université libre de Tunis’’. Comme d’autres institutions universitaires privées en Tunisie, celle-ci porte, avec l’autorisation du ministère concerné (arrêté ministériel de 2001), le titre ‘‘d’Université’’. A l’évidence, cette mesure porte gravement atteinte, et d’une manière rétroactive, à un droit légitimement acquis et, plus particulièrement, à un nom commercial reconnu et établi depuis plusieurs années. La prescription relative au capital minimum est aussi lourde de conséquences, car dans le cas de notre Université – et elle est actuellement la seule à tomber ainsi sous le coup des prescriptions de cette nouvelle loi – qui existe depuis plusieurs années, la Fondation Bouebdelli sera obligée de lever un nouveau capital de plusieurs millions de dinars pour satisfaire aux exigences de la nouvelle loi et, elle sera obligée de fractionner ses établissements en plusieurs unités séparées, augmentant ainsi inconsidérément les charges de gestion de chacune de ces unités et les rendant pratiquement incapables de survivre par leurs propres moyens. Il en est de même pour les modifications du ‘‘Cahier des charges’’, auquel on doit au moins reprocher son effet rétroactif, contraire aux principes de droit les mieux établis.
«Toutes ces mesures, loin de représenter une application objective et neutre de la loi, destinée à servir l’intérêt général, constituent une atteinte très grave aux principes les plus fondamentaux de ‘‘l’Etat de droit’’ que le pouvoir prétend respecter.»