aurélien Collignon
Hasard du calendrier ou rendez-vous avec l’histoire, Aurélien Collignon, 25 ans, originaire d’Elancourt (France) est arrivé le 4 janvier à Tunis ,10 jours avant la chute du régime de Ben Ali.
Interview réalisée par Fethi Djebali


Il faut dire qu’Aurélien n’est pas un touriste lambda. Dans ses voyages, il recherche essentiellement l’immersion dans la culture locale, l’échange et le contact avec les gens. Mais ce qu’il a vécu en Tunisie était au delà de ses espérances.

Kapitalis: Votre voyage en Tunisie était bien prévu avant le début de la révolution du jasmin?
Aurélien Collignon: Oui. Je devais arriver le 4 janvier. Des amis me disaient déjà avant que j’embarque pour la Tunisie que la situation était tendue. J’ai tenu quand même à venir. Comme tous les Tunisiens, je ne m’attendais pas à ce que la situation s’embrase jusqu’à faire tomber le régime. Au lieu de repartir, j’ai pris la décision de rester et de vivre la révolution avec les tunisiens. J’ai vécu avec des amis parfois rencontrés alors qu’ils faisaient la révolution, des moments d’intense complicité.


Aurélien monte la garde avec les Tunisiens.

J’ai partagé leurs craintes, leurs espoirs et leur soif de liberté. Avant la chute du régime la police m’a confisqué mon appareil photo et effacé toutes les photos avant de me le rendre. Mais j’ai pu les restaurer avec un logiciel spécialisé. Après la chute du régime J’ai vécu avec des amis tunisiens la nuit du 14 janvier. Leur angoisse par rapport au vide politique. Des moments d’incertitude, de solidarité mêlée d’attentisme. J’ai monté la garde dans le quartier contre les miliciens avec les Tunisiens. Des nuits blanches inoubliables autour d’une buche  de feu. Les discussions allaient bon train sur fond des informations distillées par les médias sur la situation politique. Les Tunisiens ont cette capacité extraordinaire de  domestiquer la peur par l’humour et la joie de vivre.

Et vous êtes restés dans la capitale?
Non. Quand je suis arrivé à Tunis, j’ai découvert une ville magnifique, un peuple accueillant et cultivé, et un pays riche mais avide de liberté. J’avais donc besoin de connaitre ce pays en profondeur. Chaque région est une pièce qui s’ajoute à la mosaïque que forme un pays. Avec l’amélioration de la situation à Tunis, j’ai pris le chemin de Kasserine par El Fahs. Je voyage le plus souvent en autostop: des voitures, des mobylettes, des calèches, etc. Je multiplie ainsi les rencontres avec différents profils de citoyens. Je ne prends le bus ou le train que lorsque je suis pressé ou sur le chemin du retour. Cela me permet de saisir des situations culturellement hypercomplexes. Ça me permet aussi d’avoir du relief loin de la platitude des voyages organisés. Je crois que les touristes de masse passent à côté d’un tempérament essentiel chez les Tunisiens: la volonté d’aller vers l’autre. J’ai fait des rencontres inoubliables comme celui avec Mokdad, pompiste dans un kiosque, où j’ai dû passer la nuit avant de continuer vers Kasserine. Ce sont ces petites d’histoire qui mises bout à bout forment ma vision d’un pays dont la réalité est souvent à rebours de toutes les cartes postales. Début février, je suis parti au Kef. Mon arrivée a coïncidé avec les événements sanglants qu’a connus cette région. J’ai pu  relever que, dans les pires situations, les Tunisiens ont gardé cette indéfectible hospitalité envers les étrangers.

Vous êtes un globe-trotter qui voyage différemment. Que vous apporte cette manière voyager?
J’ai commencé avec l’Algérie le 2 décembre en 2005. En 2007, j’ai  fait en train la Russie, la Mongolie, la Biélorussie et la Chine. En 2003, j’ai participé pour la première fois à un chantier bénévole en Serbie. En 2008, je suis allé au Portugal en vélo. Le 1 mars, je pars au Sénégal. Voyager de cette manière me permet de comprendre les enjeux globaux à travers le prisme  des problématiques locales.

A la fin ou parfois durant le voyage, j’inscris à mon tour ce voyage dans une logique de partage en publiant les photos sur un blog où je relate les rencontre que j’ai faites, histoire de garder trace des échanges que j’ai eu avec eux et de leur rendre hommage. Cela me permet aussi  d’informer et d’apporter un regard sur des dynamiques se mettant en place sur d’autres territoires. Je vais aussi à la rencontre du patrimoine historique des pays et de ses richesses naturelles en cours de chemin. Parfois ces richesses ne figurent sur aucune brochure touristique et sont contournées par les circuits touristiques conventionnels.

Avez-vous été confronté à des situations difficiles à gérer  au cours votre périple tunisien?
Etant donné la situation qui a prévalu après le 14 janvier, j’étais confronté surtout à la suspicion et à la méfiance des populations locales. Que viendrait faire un touriste alors des milliers d’autres rechignent désormais à y mettre les pieds? La plupart des cas, les gens  me prenait pour un «milicien» ou «un rcdiste». La situation était parfois très complexe à gérer surtout que je ne comprenais pas la langue arabe.


Photo prise par Aurélien durant les événements.

A chaque fois que je me trouvais dans cette situation j’adoptais la même attitude: jeter mes papiers et m’allonger sur le dos. Par deux fois, les gens qui faisaient des patrouilles à la recherche «des miliciens» finissent par me faire  confiance mais alertent quand même les militaires qui à chaque fois viennent me récupérer pour me relâcher par la suite après avoir compris ma démarche.

Comment faites-vous pour l’hébergement?
Je me trouve des hébergements chez l’habitant. Il y a pas mal de sites sur internet  comme ‘‘Couchsurfing.org’’ ou ‘‘hospitalityclub.org’’  spécialisés dans la mise en relation entre les touristes qui recherchent l’immersion culturelle et des gens qui sont prêts à accueillir des touristes toujours pour la même raison et gratuitement.



Ce sont des milliers de gens de par le monde qui sont prêts à ouvrir leurs maisons, leurs vies et leurs cœurs à des personnes venant d’autres pays et appartenant à d’autres cultures. Les relations qui se nouent traversent souvent les océans et les frontières  et survivent aux différences culturelles. Grâce à l’émergence de ces  sites ce tourisme se développe aujourd’hui à un rythme soutenu. A titre d’exemple, pour mon séjour au Sénégal que j’entame après la Tunisie, j’ai envoyé dix e-mails à 10 Sénégalais inscrits sur l’un de ces sites et j’étais vraiment étonné d’avoir reçu dix réponses positives.