Le voile dit islamique, qui était combattu à défaut d’être totalement interdit par le régime de Ben Ali a fait un retour spectaculaire en Tunisie. Une décision du gouvernement de transition va pour ainsi dire le «légaliser».
«Le ministère de l’Intérieur autorisera prochainement la délivrance d’une carte d’identité nationale aux femmes qui portent le voile sur leurs photos d’identité», vient d’annoncer un communiqué du ministère, cité par l’agence officielle Tap.
Un cadeau de bienvenue de Habib Essid?
Certains observateurs ont, à tort ou à raison, fait un lien entre la nomination d’un nouveau ministre de l’Intérieur, Habib Essid, et cette décision qui a surpris plus d’un, tant l’interdiction du voile dans les lieux publics était considéré comme une composante essentielle du projet de société progressiste et moderne de la Tunisie.
Le nouveau locataire de la bâtisse grise de l’avenue Habib Bourguiba a-t-il cherché par ce geste d’ouverture en direction des islamistes à les rabibocher et à faire accepter son accession à ce poste, contestée par certaines forces politiques, qui soulignent son passé dans l’administration tunisienne sous Ben Ali? M. Essid était, rappelons-le, le chef de cabinet d’Abdallah Kallel, l’ex-ministre de l’Intérieur aujourd’hui incarcéré et poursuivi par la justice. La question peut être posée. Et c’est aux responsables du ministère d’y répondre.
Quoi qu’il en soit, techniquement, le ministère a préparé une modification d’un décret de 1993 «qui sera adoptée dans les prochains jours, et selon laquelle les femmes devront montrer leurs visages et leurs yeux sur les photos d’identité; ce qui autorise les photos de femmes voilées», le voile cachant uniquement leurs cheveux.
Le respect effectif des libertés publiques et individuelles
«Cette mesure s’inscrit dans le droit-fil des réformes engagées en vue de consacrer les principes et valeurs de la révolution tunisienne et de garantir le respect effectif des libertés publiques et individuelles», poursuit le ministère.
Les hommes ont le droit de porter la barbe sur leurs photos de carte d’identité depuis le 12 février. Auparavant, ils devaient être glabres sur ces documents.
La Tunisie fait figure d’exception dans le monde arabe pour les droits qu'elle a accordés dès 1956 aux femmes avec le Code de statut personnel (Csp). Promulgué dès 1956, ce texte pionnier dans le monde arabo-islamique abolit notamment la polygamie et la répudiation.
Légalisé le 1er mars après la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier, le mouvement islamiste tunisien Ennahda a affirmé de son côté qu’il ne s’opposait pas au Csp, tout en défendant le voile islamique.
«Nous ne trouvons rien dans le Code du statut personnel qui soit en contradiction avec nos convictions, nos principes et nos valeurs», avait déclaré le 8 mars à l’Afp Noureddine Bhiri, membre du bureau politique d’Ennahda, à l’occasion de la Journée mondiale de la femme. Mais malgré ces assurances, des organisations de défense des droits de la femme s’inquiètent d’une possible remise en cause du Csp.
«Il n’est pas question de faire des concessions sur nos acquis, ni d’accepter l’obscurantisme de ceux qui veulent nous ramener 14 siècles en arrière», a ainsi déclaré à la mi-mars la militante Fathia Baazi, lors d’une conférence «pour l'égalité et la citoyenneté» organisée par quatre Ong, dont l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), qui n’a pas encore réagi à la dernière décision du ministère de l’Intérieur.
Z. A. (avec agences)