Les hésitations de l’Otan à en finir avec le régime de Kadhafi cachent des calculs politiques, dont les révolutionnaires libyens et leurs alliés arabes ne sont pas dupes. Par Taoufik Ouanes
Je suis déchiré entre mes convictions humanitaires et mes renoncements de «realpolitiste». Ce qui se passe en Libye ne satisfait ni l’un ni l’autre! Cela fait deux mois que les Libyens meurent. Par quel feu? Cela m’importe peu! Mais cela fait deux mois également qu’aucune perspective de solution réelle n’est vraiment perceptible.
Désastre humanitaire et prolongation de l’agonie
Je ne vais pas m’étaler sur cet aspect. Il est à la fois connu et douloureux. Clair car il suffit d’enclencher son poste de radio ou de Tv pour se rendre comte de l’immensité des souffrances des Libyens et autre résidents de la Libye.
Les chiffres macabres une fois minimisés, une autre exagérés, suivant les intérêts des uns ou des autres, ne font qu’accentuer le désarroi et les calculs macabres des acteurs de cette guerre. Les opérations militaires dans lesquels vie la Libye répondent, hélas, à toutes les définitions des conflits armés que les juristes, les stratèges et les politologues ont inventoriés pour décrire les formes de la violence. Nous assistons à un «conflit armé interne», à une «guerre civile», à une «guerre internationale», à une «intervention militaire étrangère», à une «guerre de libération nationale», etc. Chacun pourrait trouver dans le conflit libyen ce qu’il voudra bien apporter dans son panier (tout comme «l’auberge espagnole»), ou sa «bonne intention», comme en est pavé l’enfer.
La question ici concerne le très timide soutien aux révolutionnaires libyens, ou la protection des victimes civiles. A part l’effort et les sacrifices du peuple tunisien et de certaines organisations humanitaires (Croissant Rouge Tunisien, Croix Rouge Internationale, Médecins Sans Frontières, Haut Commissariat pour les Réfugiés), ceux qui quittent la Libye pour sauver leur vie de la mort provoquée par les uns ou les autres sont voués au désespoir et à l’anéantissement.
Un jour, on se réveillera sur des récits dévastateurs et des chiffres horrifiants. On fera tous – gouvernants et gouvernés, Arabes, Européens ou autres – appel à notre faculté d’amnésie qui nous fera oublier la Libye, comme elle nous a fait oublier l’holocauste, le Cambodge, l’Iraq ou autres tragédies… En m’excusant de ma courte mémoire et de ma propre amnésie!
La férocité des troupes de Kadhafi, les fourberies des révolutionnaires libyens et les calculs trop compliqués de l’Otan et de ses pays membres ne font que prolonger l’agonie du peuple Libyen. Au moins jusqu’à la rédaction de ces lignes, il n’y a aucune perspective pour arrêter cette agonie, résultante volontairement consentie par tous ces acteurs. Sans état d’âme! Sans scrupules! Et au nom de la «realpolitik».
«Realpolitik» et continuation de l’hypocrisie
Un humanisme béant et rêveur n’est pas de mon goût. Cependant, je pense qu’une approche de «realpolitik» ne doit, en aucune façon, être utilisée pour continuer l’agonie d’un peuple, en attendant que ceux impliqués dans ce conflit arrivent à faire leurs choix, à réaliser leurs ententes complexes, et surtout leur jeu interne d’intérêts égotistes.
Tout cela est à l’origine d’une hypocrisie multilatérale et réciproque entre tous ces acteurs. L’Otan n’a pas encore choisi son camp! La peur d’une dérive islamiste ou antioccidentale des révolutionnaires libyens empêche les responsables politiques de l’Otan de dormir et ses responsables militaires d’agir! Il ne faut pas se leurrer par les déclarations générales qui affirment la nécessité du départ de Kadhafi, ni des difficultés de se débarrasser de son régime, militairement. Et surtout pas des pseudo-raisons invoquées, à savoir les dangers d’une implication militaire étrangère – qui est déjà là – ou de la volonté d’épargner les civils qui sont, d’ores et déjà, les plus nombreuses victimes de ce conflit. Disons les choses crûment: l’Otan ne fera qu’une bouchée du régime de Kadhafi, si elle le veut bien!
La question que se posent l’Otan et ses pays membres est celle de savoir si vraiment le régime de Kadhafi n’est pas, en dernière analyse, préférable à un régime qui sera institué par les «révolutionnaires» libyens qui risque d’avoir une obédience islamiste, nationaliste, ou autre ? A ceci s’ajoute les questions sur ce que risquent de donner les révolutions tunisienne et égyptienne comme régime! En plus, qui va avoir la plus grand «dividende» politique de ce conflit? Quels pays membres de l’Otan? De l’Union européenne? Ou plus spécifiquement la France de Sarkozy ou de Marine Le Pen? On peut continuer indéfiniment ces interrogations.
Alors on attend, on tempère, on laisse faire! C’est la «realpolitik»! Je sais, je comprends, mais à une question demeure lancinante: le prix humanitaire! Il est trop élevé messieurs dames les gouvernants exubérants des pays de l’Otan, du Qatar… et autres gouvernants muets des pays arabes.
Vous jouez à l’hypocrisie et aux prolongations! Une prolongation du conflit, une prolongation des souffrances et une prolongation de l’agonie.
Les populations arabes, à travers leurs actions historiques en Tunisie, Egypte, Yémen, Libye, Syrie (la liste est longue, mais elle n’est pas finie) qui ont démontré leur maturité et leur mérite de vivre en démocratie et en paix, ne seront dupes de cette hypocrisie, ni amnésiques de cette agonie!
Arrêtez-les s’il vous plaît!
* Avocat, ancien fonctionnaire de l’Onu.