Le Rcd a été mortellement blessé, mais il n’est pas encore mort. La bête immonde bouge toujours. Quelques loups affamés cherchent à se partager ses restes, au risque de la réveiller. Attention, danger! Par
Ridha Kéfi


Les cadres du Rcd, l’ex-parti au pouvoir, dissous par une décision de justice, doivent-ils être privés de participation aux prochaines échéances politiques? La décision de les priver de leurs droits civiques et politiques est-elle juste?
Les avis à ce sujet sont partagés. Il y a les pour et les contres. Quant aux Rcdistes, les premiers concernés, ils n’ont pas honte de crier à l’injustice. Faut-il leur rappeler leurs crimes passés? Ou comptent-ils sérieusement sur l’amnésie de leurs compatriotes, à défaut d’obtenir leur pardon?

La liberté aux... ennemis de la liberté?
Samedi, des partisans du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), l’ex-parti au pouvoir dissous, ont fait un sit-in à la place des droits de l’Homme, à l’avenue Mohamed V, dans le centre-ville de Tunis, pour revendiquer le droit de participer aux prochaines échéances politiques. Ils ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de la «dictature» de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.
L’article 15 du décret-loi relatif à l’élection de l’assemblée nationale constituante, approuvé le 11 avril par ladite Haute instance, interdit aux cadres du Rcd de se porter candidat. Les personnes concernées par la privation de candidature sont celles qui ont occupé des responsabilités au cours des dix dernières années ou qui ont été impliqués dans le soutien de la candidature du président déchu à la présidentielle de 2014.
Il s’agit des membres du bureau politique, du comité central et des comités de coordination, ainsi que les présidents des cellules destouriennes, sans parler des membres du gouvernement, de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers. Autant dire tous les hauts cadres de ce parti qui a dominé la vie politique dans le pays depuis l’indépendance et qui est, pour cette même raison, haï par la majorité des Tunisiens
Les protestataires ont, selon l’agence Tap, exprimé leur refus «de l’exclusion des anciens constitutionnels démocrates des prochaines échéances politiques» et leur condamnation de la «confiscation des droits civiques et politiques de plusieurs catégories de Tunisiens». Ils ont brandi des banderoles sur lesquelles on lisait notamment: «Le peuple exige la légitimité de l’urne»; «Non aux procès politiques»; «Oui pour demander des comptes de manière individuelle» et «Non à l’exclusion collective».
«La révolution pour la dignité et la liberté commande aujourd’hui de consacrer les principes de l’exercice démocratique, de garantir les droits de l’Homme et d’assurer la dignité pour l’ensemble des Tunisiens sans exception, ni marginalisation», a déclaré à l’agence officielle sous le couvert de l’anonymat un ex-secrétaire général-adjoint du Rcd.

Déséquilibre du paysage politique
Les militants du Rcd, dont les revendications n’ont pas manqué de susciter des ricanements chez leurs adversaires, ont eu, le même jour, l’appui inespéré de Beji Caid Essebsi. Dans une allocution devant la première conférence des gouverneurs après le 14 janvier, réunie à la caserne de la Garde nationale à El Aouina, au nord de Tunis, le Premier ministre par intérim a émis des réserves sur la décision objet de la manifestation. Selon lui, l’exclusion des anciens responsables du Rcd des prochaines échéances électorales risque de provoquer un déséquilibre du paysage politique et de n’être d’aucun apport pour les partis nouvellement créés.
Certains partis politiques, a dit M. Caïd Essebsi, sont plus «actifs et mieux préparés que les autres» pour s’engager dans la vie politique et les prochaines échéances électorales. Cette décision servira plutôt les intérêts d’un parti ou d’une catégorie déterminés, a-t-il ajouté, sans nommer le parti ou la catégorie en question. On peut cependant affirmer sans risquer d’être démenti qu’il a voulu désigner les islamistes d’Ennahdha, la force politique la plus structurée et la mieux implantée dans le pays. Le Premier ministre par intérim, qui a appelé à approfondir la réflexion autour de cette question, à poursuivre la discussion et à être à l’écoute de toutes les parties, a affirmé également qu’elle fera l’objet d’une décision vendredi prochain.
Est-ce  dire que M. Caïd Essebsi, que l’on ne peut soupçonner de complaisance à l’égard des Rcdistes, va demander à la Haute instance de revoir sa copie, en abandonnant (ou en amendant) l’article contesté du décret-loi sur les élections?
Le Premier ministre n’est pas la seule personnalité politique à contester cet article. C’est le cas aussi du fondateur et président du parti El Majd, Abdelwaheb Hani, qui a affirmé, au cours d’un point de presse, samedi, à El Menzah V, qu’il refuse de transgresser le principe de la liberté de candidature pour l’ensemble des Tunisiens. M. Hani a proposé d’amender les articles concernant les candidatures et l’inéligibilité de personnes ayant occupé des responsabilités parmi les membres du Rcd, estimant qu’il n’est pas encore tard pour le faire, avant l’approbation du texte par le président de la république par intérim.

Les Rcdistes pour contrer l’ogre islamiste
Me Néjib Chebbi, leader du Parti démocratique progressiste (Pdp) est allé encore plus loin: il a permis à d’anciens Rcdistes à intégrer son mouvement. Interrogé à ce sujet lors d’une rencontre-débat organisée, samedi, au Centre des jeunes dirigeants (Cjd), à Tunis, il a affirmé que l’ouverture de son parti à tous les Rcdistes s’est effectué sur la base de l’édification démocratique et «parce qu’ils sont aussi des victimes de l’ancien régime». Des cadres de son mouvement ont expliqué à Kapitalis qu’ils n’acceptent pas l’adhésion des ex-cadres du Rcd ou des hauts responsables ayant collaboré directement avec le président déchu, mais les portes de leur mouvement est ouvert aux militants de base du Rcd qui n’ont pas été impliqués dans l’ancien système. «De toute façon, nous ne pouvons pas vérifier le parcours de toute personne voulant adhérer au Pdp».
Il va sans dire que cette position, qui se prévaut des principes du jeu démocratique, s’explique plutôt par des calculs électoraux: les Rcdistes disposent d’une base électorale qui fait saliver les autres partis. Qu’il s’agisse du Pdp ou du tout jeune Al Majd, fondé il y a quelques semaines, ou des autres partis qui encombrent aujourd’hui la scène politique, l’électorat du Rcd pourrait constituer un appoint de taille face à la redoutable machine du parti islamiste Ennahdha.
Reste à savoir si les Rcdistes sont disposés à rouler pour les uns ou pour les autres, ou s’ils sont plutôt déterminés à reprendre leur place au centre de l’échiquier politique national, non pas en tant qu’arbitres, mais en tant que joueurs à part entière.
Les Chebbi, Hani et les autres, qui s’apprêtent à tenter le «diable», seraient bien inspirés de se poser cette question avant de se perdre en conjectures électoralistes. Car pour quelques voix gagnées, ne risquent-ils pas de vendre leur âme au diable et de perdre toute crédibilité.
«Illi Yihseb Wahdou Yofdhollou» (Qui fait seul ses comptes, sort toujours gagnant), dit le proverbe bien tunisien.