Les immigrés tunisiens qui o nt obtenu de l’Italie un visa temporaire auront du mal à circuler librement en France, qui ne veut pas d’eux. Qui a parlé de solidarité française avec la Tunisie post-Ben Ali?
Que leur séjour soit légal ou non, la France dit non aux immigrés tunisiens sur son sol et interprète à sa manière les accords de Schengen. Cette décision fait monter la colère des associations humanitaire et des manifestants, en France même. Et pour cause : les immigrés tunisiens bloqués dans la petite ville italienne de Vintimille et empêchés d’entrer en France vivent dans des conditions déplorables. Kais, 21 ans, originaire de Kébili (sud-ouest), interviewé par ‘‘Ouest-France’’ exprime bien l’état d’esprit de ces jeunes échoués à la frontière de l’Haxagone. «Les Italiens sont plutôt gentils. Ce n’est pas comme vous, les Français!», dit Kaïs. «Je suis allé à Menton. J’y ai passé deux jours avant de me faire attraper. Personne ne m’a proposé du pain ou une bouteille d’eau. Les policiers ont été brutaux, on m’a mis des menottes, comme un voleur. Pourquoi êtes-vous tellement sympas quand vous venez chez nous, en Tunisie, et racistes, chez vous, en France?», demande le jeune homme.
Pour justifier leur décision de barrer la route des Alpes maritimes aux Tunisiens ayant fui leur pays après la chute de Ben Ali, les autorités françaises invoquent le risque de trouble à l’ordre public. La Commission européenne, qui ne l’entend pas de cette oreille, rétorque: «Les risques invoqués par la France sont injustifiés et Rome a respecté à la lettre les accords de Schengen».
Pour pouvoir entrer en France, chaque Tunisien peut donc saisir un juge de l’espace Schengen afin de faire valoir ses droits. Ce qui, on l’imagine, irrite la France qui a dû annuler dimanche pendant plusieurs heures tous les départs des trains en provenance de Vintimille vers la Côte d’Azur, de manière à empêcher les immigrés tunisiens arrivent sur son sol via cette ligne.
Une comédie qui flatte les égoïsmes nationaux
Décidément, la France a du mal de guérir de son prurit tunisien. Après avoir longtemps soutenu un dictateur nommé Ben Ali, elle a encore du mal à digérer la révolution qui a emporté cet allié encombrant et néanmoins chouchouté par l’Elysée.
Aussi, les ministres français qui font le ballet entre Paris et Tunis pour exprimer la solidarité de leur pays avec la nouvelle Tunisie ont-ils du mal à convaincre les Tunisiens des réelles dispositions de la France à leur égard, tant les positions de Paris concernant l’immigration tunisienne semblent aux antipodes de ce qu’elles devraient être. Le gouvernement Sarkozy donne même l’impression de vouloir utiliser la mobilisation générale contre l’immigration tunisienne comme un argument dans la perspective de la campagne pour l’élection présidentielle en 2012.
Evoquant la suspension temporaire dimanche du trafic ferroviaire entre Vintimille et Menton, dimanche, Pierre Henry, le président de France terre d’asile, a estimé dans une interview au site du ‘‘Nouvel Obs’’ que cette mesure est «disproportionnée» et qu’elle «n’est pas adaptée à l’idée de solidarité qui devrait prévaloir dans l’Union».
Tout en qualifiant la réaction de la France de «comédie flattant les égoïsmes nationaux», M. Henry a estimé que «la France commet une erreur historique en réagissant ainsi avec les migrants tunisiens. Historique parce qu’il y a une révolution en cours de l’autre côté de la Méditerranée. D’autre part, et il faut le répéter, il n’y a pas d’envahissement et nous avons les outils pour faire face à cet afflux temporaire.»
Le devoir de solidarité de l’Europe
C’est cette réalité que nos «amis» français ont du mal à admettre: il s’agit d’un mouvement temporaire, lié à une situation révolutionnaire et qui va bientôt se stabiliser.
Il fut un temps pas si lointain où le mouvement d’émigration se faisait dans le sens contraire, du nord vers le sud, et notre pays, qui a accueilli, au cours de la première moitié du XXe siècle, des centaines de milliers d’Européens (Italiens, Espagnols, Grecs, Maltais et même des Russes après la révolution bolchévique, sans parler des colons français), n’est-il pas en droit aujourd’hui d’exiger un peu plus de solidarité de la part des Européens en ce moment difficile de sa transition démocratique?
Ce n’est pas en faisant des pressions sur la Tunisie que la France va aider à régler le problème de l’immigration tunisienne en Europe. Elle risque plutôt ainsi de l’aggraver. Car tout ce qui contribue à compliquer la tâche du gouvernement de transition ou à retarder la normalisation de la situation politique dans le pays aura pour conséquence immédiate d’aggraver la situation économique et sociale et d’inciter davantage de jeunes chômeurs à émigrer. Cette analyse, même l’Italie de l’inénarrable Silvio Berlusconi, qui doit pourtant tenir compte des pressions de l’extrême-droite présente au sein même de son gouvernement, l’a faite et s’est comportée en conséquence. Mais pas la France de Sarkozy, qui enfourche le débat sur l’immigration tunisienne comme un cheval de bataille dans sa «guéguerre» contre le Front national.
Un très mauvais signal envoyé aux «amis Tunisiens»
M. Henry, à l’instar d’autres militants associatifs français, a saisi l’ampleur de l’erreur historique que le gouvernement français est en train de commettre. «La Tunisie est francophone et francophile et c’est là un très mauvais signal que nous envoyons à nos amis Tunisiens», a-t-il expliqué. Et d’ajouter: «Nous nous devons de répondre à la situation de précarité dans laquelle se trouvent ces jeunes migrants. Notre réponse doit être digne, quelle qu’elle soit, même s’il peut parfois s’agir de négocier un retour.»
M. Henry rappelle, à juste titre, que l’Europe qui «a accueilli des dizaines de milliers des réfugiés du Kosovo pendant la crise des Balkans», a «les outils et le savoir-faire en la matière, et quoi qu’on en dise, les moyens d’accueillir de manière temporaire» et «d’apporter une solution européenne digne et respectueuse des droits de l’homme?».
Ces mêmes droits que l’Europe a toujours défendus et que l’ex-dictateur avait foulés au pied sous l’œil (presque) complice de cette même Europe, serions-nous tentés d’ajouter.
C’est ce message que les autorités tunisiennes devraient transmettre au nouveau chef de la diplomatie française, Alain Juppé, qui se rend cette semaine dans notre pays. N’est-ce pas dans les moments difficiles que l’on reconnait ses véritables amis?
Zohra Abid