Mondher Thabet, secrétaire général du Parti social libéral (Psl), hier encore allié inconditionnel du dictateur Ben Ali, menace d’entamer une grève de la faim. Cherchez la victime?


Dans un émail qu’il a fait parvenir mardi à de nombreux médias de la place, M. Thabet annonce qu’il pourrait (il n’est donc pas encore sûr de le faire) «entamer une grève de faim les jours à venir». Et pourquoi donc? «Pour protester contre l’exclusion et le dénigrement dont font l’objet des démocrates en Tunisie et contre le terrorisme juridico-médiatique pratiqué par certains».

Faire la lumière sur un système clientéliste
On appréciera la confusion de la formulation. Qui sont ces pauvres démocrates terrorisés par la justice et les médias? S’agit-il de M. Thabet et des dirigeants d’autres partis qui émargeaient sur les largesses de l’ex-dictateur et qui viennent d’être entendus dans le cadre d’enquêtes judiciaires sur des faits de corruption? Si c’est le cas, cela ne nous semble pas justifier une action aussi extrême qu’une grève de la faim. Car ces enquêtes sont nécessaires. La révolution est passée par là. Ben Ali a fui le pays comme un vulgaire malfrat. Il va falloir nettoyer ses écuries. Et pour cela faire la lumière sur le fonctionnement du système clientéliste qui était en place avant le 14 janvier, identifier ceux qui en ont bénéficié et délimiter les responsabilités des uns et des autres. En cas de corruption avérée, des poursuites judiciaires devront tout naturellement être menées contre les auteurs d’actes répréhensibles.

mondher-thabet-ben-ali
Mondher Thabet reçu par Ben Ali le 6 janvier

Si M. Thabet n’a rien à se reprocher – c’est sans doute le cas, et nous n’en doutons pas – et qu’il n’a pas reçu les sommes d’argent objet de l’audition par la justice dont il a fait l’objet, ainsi que trois autres dirigeants de partis dits «du décor», la justice tunisienne désormais indépendante se fera un devoir de l’innocenter. Dans le cas contraire, il devra assumer ses choix et ses actes passés. Sa grève de la faim n’y changera rien. Elle ne changera rien, en tout cas, à ses plaidoyers passés en faveur du dictateur et de son régime honni.

Mondher Thabet par lui-même
Petit rappel pour rafraîchir la mémoire des membres du Psl: selon une dépêche Tap mise en ligne sur le site même du Psl, en date du 18 octobre 2009, à quelques jours de l’élection présidentielle, et qui rendait compte d’un meeting tenu le même jour à Sfax, M. Thabet «a indiqué que son parti participe aux élections législatives pour la cinquième fois de son histoire, dans un cadre marqué par le soutien de la candidature du président Zine El Abidine Ben Ali pour l’élection présidentielle, parce qu’il est le plus apte à diriger la Tunisie et le garant de sa stabilité, de sa sécurité et de la dignité de son peuple.»
M. Thabet a, par ailleurs, souligné, par la même occasion, que «l’adhésion aux orientations du chef de l’Etat consacre davantage le processus démocratique pluraliste, dans un climat de dialogue et de concorde nationaux.»
Puis, se félicitant du «climat sain dans lequel se déroule la campagne électorale, ainsi que de sa transparence et de l’impartialité de l’administration», le secrétaire général du Psl a fait remarquer «que les élections en Tunisie ont une dimension pluraliste, avec la participation des partis politiques.»
A l’époque, souvenons-nous, l’écrasante majorité des Tunisiens souffrait le martyre sous l’écrasante chape de plomb que le dictateur faisait peser sur le pays. De nombreux (vrais) opposants étaient malmenés par la police politique. D’autres croupissaient en prison, dont notre collègue Taoufik Ben Brik et bien d’autres. L’auteur de ces lignes, qui n’étaient même pas un opposant politique mais simplement un journaliste indépendant, était réduit au chômage par une décision de ce même président et de son administration dont M. Thabet louait la «transparence» et l’«impartialité».

Les Tunisiens ne sont pas des imbéciles
Plus près de nous, le 4 janvier 2010, quelques jours seulement avant la chute de Ben Ali, M. Thabet a été reçu par le dictateur au Palais de Carthage. Au sortir de la réunion, le dirigeant du Psl a cru pouvoir mettre l’accent, selon l’agence Tap, «sur la détermination qui anime le chef de l’Etat de veiller à la préservation du consensus national, à travers l’instauration permanente du dialogue et de l’interaction positive entre les différentes composantes du paysage national, et de protéger la liberté d’expression, dans le cadre du respect total de la loi et des institutions.»
«J’ai exprimé au chef de l’Etat mon attachement ainsi que celui des militants et des militantes du Psl, à la voie du consensus et du dialogue, qu’il a fondée, depuis le 7 novembre 1987. J’ai, aussi, fait part de l’adhésion du parti au processus de dialogue serein et responsable, pour la sauvegarde des acquis de la Tunisie et de son image à l’étranger, ainsi que de l’appui du Psl à la direction du président Zine El Abidine Ben Ali, dépositaire de la légitimité du sauvetage et des réformes», a ajouté M. Thabet.
Non, vraiment, M. Thabet, un peu de décence. Et de grâce, ne prenez pas les Tunisiens pour des imbéciles ou des amnésiques. Ils vous pardonneront peut-être un jour vos assiduités avec le régime déchu, mais ils ne les oublieront pas de sitôt!
Quant à la justice, aujourd’hui enfin indépendante, elle doit faire son travail. Et M. Thabet, en tant qu’homme politique, doit être soucieux de la voir poursuivre son œuvre de salubrité publique. Et non l’accuser de… terrorisme!
A moins que…

R. K.