Contrairement à ce que pensent certains, il existe de bonnes raisons pour exclure de candidature à la constituante du 24 juillet les ex-responsables de l’ancien parti de Ben Ali. Par Abderrazak Lejri*
La mesure d’exclusion des ex-responsables de l’ancien parti au pouvoir, le Rcd, de la candidature aux élections de la constituante du 24 juillet, a provoqué la résurgence de tentacules d’un monstre que l’on a cru naïvement définitivement terrassé.
Cette mesure, jugée par certains illégale, abusive et revancharde, est une revendication populaire. Elle a été décidée par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, dont la légitimité en la matière est contestée malgré un large consensus, comme si le Rcd avait la légitimité de représenter le peuple tunisien durant les 23 ans du règne de Ben Ali.
Agents de la dictature et construction de la démocratie
Sur le plan du principe d’abord, si on estime que le but principal du rendez vous du 24 juillet est d’élire ceux qui vont poser l’acte fondateur de la nouvelle constitution, on peut mal imaginer qu’y soient associées les personnes qui de par leur responsabilité dans l’ex-Rcd ont vécu dans la culture du parti unique, de la non-liberté et de l’exclusion de toute personne ayant des velléités de démocratie.
Comme l’écrit Moncef Marzouki, «les agents de la dictature ne peuvent du jour au lendemain construire la démocratie» ou Ridha Kéfi dans Kapitalis «la liberté… aux ennemis de la liberté».
Sur le plan symbolique, le Rcd ayant été dissous par décision de justice, suite à une exigence légitime de la révolution, car il représentait l’abcès de fixation de toutes les dérives maléfiques de la dictature des 23 dernières années, ses responsables – dont la majorité de l’opinion publique met en doute la crédibilité suite à une soudaine rédemption – auraient dû avoir la décence de se faire oublier, au moins pendant une période transitoire, car ils auront tout le loisir de se refaire une virginité lors des prochaines élections législatives et présidentielles à l’occasion desquelles ils pourront exercer tout leur talent de transformisme pour se présenter aux électeurs sous un jour meilleur.
La seule utilité de leur participation aurait été leur éclairage sur «ce qu’il ne faut plus faire», vu leur vécu de l’intérieur d’un système qui a fait faillite.
Ceux qui se sentent concernés par l’inéligibilité à la constituante, et spécialement visés, notamment les barons de l’ancien régime et leurs affidés, qui ont été partie-prenante de la majorité de ses dérives, et dont aucun n’a fait son mea-culpa, montent au créneau en orchestrant des campagnes de désinformation allant jusqu’ à avancer le mensonge grossier du chiffre de 3 millions de Tunisiens exclus de la vie politique de leur pays.
L’éternel épouvantail de la guerre civile
Ces mensonges, énoncés avec la même morgue que les discours démagogiques d’antan, sont assortis de menaces voilées d’avènement d’une «fitna» voire d’une guerre civile, comme ce qui s’est passé en Afghanistan ou en Irak, en faisant un amalgame de contexte: guerre tribale dans le premier et occupation étrangère illégale dans le second sur fond de rivalités ethniques chiite-kurde-sunnite.
Leur culot fait qu’ils utilisent une ficelle aussi grosse que lorsqu’ils ont voulu se maintenir au premier et au second gouvernement provisoire de transition en agitant le spectre du «vide du pouvoir» et en annonçant le chaos qui serait induit par le départ de ces indispensables «techniciens connaisseurs de dossiers».
Selon l’argumentaire qu’ils veulent défendre, tantôt la responsabilité est jugée unique car elle incombe en premier lieu à Ben Ali qui – maintenant qu’il n’est plus là – a bon dos, la complicité active ou passive de toutes les composantes du système étant occultée, et tantôt collective, les dix millions de Tunisiens ayant été, de par leur silence coupable, tous responsables des dérives du système.
Ces «milliers de responsables compétents et professionnels majoritairement soumis à une obéissance forcée au pouvoir politique», comme l’a écrit quelqu’un, se doivent d’assumer le fait qu’ils ont été devant l’histoire – par choix ou suite à des circonstances particulières – du mauvais côté.
Car la compétence et la probité individuelles n’exonèrent pas de la responsabilité active ou passive dans les dérives dictatoriales de l’ancien régime.
Sous l’emprise de leur égo, qui leur fait croire qu’ils sont incontournables, ils ont l’impression de rater une nouvelle occasion d’exercer leurs talents passés (dans un contexte de compromission, d’allégeance à une mafia et de déliquescence du sens de l’Etat et du service public) comme répondant à un appel impérieux de servir par altruisme et dans la foulée de se servir par opportunisme.
Ces derniers, s’ils sont vraiment patriotes et si leur insistance à participer représente un écueil à l’instauration d’une sérénité pour la période à venir – déjà assez malmenée par les islamistes, leurs alliés de circonstance – qu’ils se retirent, ce qui leur donnera l’occasion par cet acte citoyen de se racheter un peu!
En quoi cela est t’il erroné – même si ça leur paraît injuste – qu’en attendant l’alternance (qu’ils n’ont rien fait pour favoriser quand le Rcd était omniprésent) espérée aux prochaines élections libres, une alternance dans la conception de la nouvelle constitution soit envisagée par des Tunisiens qui n’ont pas eu l’heur de partager leurs opinions.
Calcul politique et pacte avec le diable.
La mansuétude des Tunisiens est immense, car l’exclusion momentanée des ex-responsables du Rcd du calendrier politique est toute complaisance par rapport à d’autres mesures plus tranchées sous d’autres cieux, y compris dans des pays tel que la France d’après Vichy (où la fonction publique a été interdite aux anciens responsables) ou des épurations violentes assorties d’exactions physiques dans d’autres pays où un climat de revanche et de vengeance a prévalu.
L’inquiétante poussée des islamistes amène certains dont l’actuel Premier ministre du gouvernement provisoire à envisager l’assouplissement de la mesure pour permettre aux Rcdistes, qui s’y connaissent en la matière, de contrebalancer le poids d’Ennahdha par calcul politique en pactisant avec le diable.
Certains discours parlent même de réconciliation nationale en vue de la concorde pouvant shunter l’étape préalable de jugement des crimes et exactions – sans que justice se fasse – sous le prétexte fallacieux que, d’ici le 24 juillet, il est illusoire de pouvoir établir les faits conformément à la loi.
N’en déplaise à certains, les blessures étant encore ouvertes, et les rancœurs tenaces, le temps du pardon n’est pas encore venu.
* Ingénieur informaticien, chef d’entreprise.
Tunisie. Le temps du pardon n’est pas encore venu
Abderrazak Lejri* écrit – De bonnes raisons pour exclure de candidature à la constituante du 24 juillet les ex-responsables de l’ancien parti de Ben Ali.
La mesure d’exclusion des ex-responsables de l’ancien parti au pouvoir, le Rcd, de la candidature aux élections de la constituante du 24 juillet, a provoqué la résurgence de tentacules d’un monstre que l’on a cru naïvement définitivement terrassé.
Cette mesure, jugée par certains illégale, abusive et revancharde, est une revendication populaire. Elle a été décidée par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, dont la légitimité en la matière est contestée malgré un large consensus, comme si le Rcd avait la légitimité de représenter le peuple tunisien durant les 23 ans du règne de Ben Ali.
Agents de la dictature et construction de la démocratie
Sur le plan du principe d’abord, si on estime que le but principal du rendez vous du 24 juillet est d’élire ceux qui vont poser l’acte fondateur de la nouvelle constitution, on peut mal imaginer qu’y soient associées les personnes qui de par leur responsabilité dans l’ex-Rcd ont vécu dans la culture du parti unique, de la non-liberté et de l’exclusion de toute personne ayant des velléités de démocratie.
Comme l’écrit Moncef Marzouki, «les agents de la dictature ne peuvent du jour au lendemain construire la démocratie» ou Ridha Kéfi dans Kapitalis «la liberté… aux ennemis de la liberté».
Sur le plan symbolique, le Rcd ayant été dissous par décision de justice, suite à une exigence légitime de la révolution, car il représentait l’abcès de fixation de toutes les dérives maléfiques de la dictature des 23 dernières années, ses responsables – dont la majorité de l’opinion publique met en doute la crédibilité suite à une soudaine rédemption – auraient dû avoir la décence de se faire oublier, au moins pendant une période transitoire, car ils auront tout le loisir de se refaire une virginité lors des prochaines élections législatives et présidentielles à l’occasion desquelles ils pourront exercer tout leur talent de transformisme pour se présenter aux électeurs sous un jour meilleur.
La seule utilité de leur participation aurait été leur éclairage sur «ce qu’il ne faut plus faire», vu leur vécu de l’intérieur d’un système qui a fait faillite.
Ceux qui se sentent concernés par l’inéligibilité à la constituante, et spécialement visés, notamment les barons de l’ancien régime et leurs affidés, qui ont été partie-prenante de la majorité de ses dérives, et dont aucun n’a fait son mea-culpa, montent au créneau en orchestrant des campagnes de désinformation allant jusqu’ à avancer le mensonge grossier du chiffre de 3 millions de Tunisiens exclus de la vie politique de leur pays.
L’éternel épouvantail de la guerre civile
Ces mensonges, énoncés avec la même morgue que les discours démagogiques d’antan, sont assortis de menaces voilées d’avènement d’une «fitna» voire d’une guerre civile, comme ce qui s’est passé en Afghanistan ou en Irak, en faisant un amalgame de contexte: guerre tribale dans le premier et occupation étrangère illégale dans le second sur fond de rivalités ethniques chiite-kurde-sunnite.
Leur culot fait qu’ils utilisent une ficelle aussi grosse que lorsqu’ils ont voulu se maintenir au premier et au second gouvernement provisoire de transition en agitant le spectre du «vide du pouvoir» et en annonçant le chaos qui serait induit par le départ de ces indispensables «techniciens connaisseurs de dossiers».
Selon l’argumentaire qu’ils veulent défendre, tantôt la responsabilité est jugée unique car elle incombe en premier lieu à Ben Ali qui – maintenant qu’il n’est plus là – a bon dos, la complicité active ou passive de toutes les composantes du système étant occultée, et tantôt collective, les dix millions de Tunisiens ayant été, de par leur silence coupable, tous responsables des dérives du système.
Ces «milliers de responsables compétents et professionnels majoritairement soumis à une obéissance forcée au pouvoir politique», comme l’a écrit quelqu’un, se doivent d’assumer le fait qu’ils ont été devant l’histoire – par choix ou suite à des circonstances particulières – du mauvais côté.
Car la compétence et la probité individuelles n’exonèrent pas de la responsabilité active ou passive dans les dérives dictatoriales de l’ancien régime.
Sous l’emprise de leur égo, qui leur fait croire qu’ils sont incontournables, ils ont l’impression de rater une nouvelle occasion d’exercer leurs talents passés (dans un contexte de compromission, d’allégeance à une mafia et de déliquescence du sens de l’Etat et du service public) comme répondant à un appel impérieux de servir par altruisme et dans la foulée de se servir par opportunisme.
Ces derniers, s’ils sont vraiment patriotes et si leur insistance à participer représente un écueil à l’instauration d’une sérénité pour la période à venir – déjà assez malmenée par les islamistes, leurs alliés de circonstance – qu’ils se retirent, ce qui leur donnera l’occasion par cet acte citoyen de se racheter un peu!
En quoi cela est t’il erroné – même si ça leur paraît injuste – qu’en attendant l’alternance (qu’ils n’ont rien fait pour favoriser quand le Rcd était omniprésent) espérée aux prochaines élections libres, une alternance dans la conception de la nouvelle constitution soit envisagée par des Tunisiens qui n’ont pas eu l’heur de partager leurs opinions.
Calcul politique et pacte avec le diable.
La mansuétude des Tunisiens est immense, car l’exclusion momentanée des ex-responsables du Rcd du calendrier politique est toute complaisance par rapport à d’autres mesures plus tranchées sous d’autres cieux, y compris dans des pays tel que la France d’après Vichy (où la fonction publique a été interdite aux anciens responsables) ou des épurations violentes assorties d’exactions physiques dans d’autres pays où un climat de revanche et de vengeance a prévalu.
L’inquiétante poussée des islamistes amène certains dont l’actuel Premier ministre du gouvernement provisoire à envisager l’assouplissement de la mesure pour permettre aux Rcdistes, qui s’y connaissent en la matière, de contrebalancer le poids d’Ennahdha par calcul politique en pactisant avec le diable.
Certains discours parlent même de réconciliation nationale en vue de la concorde pouvant shunter l’étape préalable de jugement des crimes et exactions – sans que justice se fasse – sous le prétexte fallacieux que, d’ici le 24 juillet, il est illusoire de pouvoir établir les faits conformément à la loi.
N’en déplaise à certains, les blessures étant encore ouvertes, et les rancœurs tenaces, le temps du pardon n’est pas encore venu.
* Ingénieur informaticien, chef d’entreprise.