C’est maintenant presque officiel: Abdelfattah Mourou sera le très probable candidat d’Ennahdha à la prochaine présidentielle. L’annonce a été faite, il y a quelques jours, au cours d’un meeting populaire du parti islamiste tunisien.
Les deux hommes, qui s’adressaient à une foule tout acquise, ont commencé par des échanges d’amabilités, presque des déclarations d’amour réciproques. Oubliés donc les divergences du passé. Enterrées les vieilles rancœurs. Finies les rivalités entre le leader historique et son éternel numéro 2. De leur long compagnonnage, les deux dirigeants du parti islamiste tunisien ne retiennent plus qu’une amitié de 42 ans, quelques moments difficiles vécus ensemble, une cellule de prison partagée et des échanges qui n’ont jamais cessé, même au plus fort de la répression de Ben Ali, lorsque le mouvement a été presque démantelé, Ghannouchi exilé à Londres et Mourou complètement isolé à Tunis.
«Cheikh Abdelfattah est mon unique candidat!»
Après avoir entendu les louanges appuyées que lui a adressées son ami de quarante ans, déclamées dans un arabe littéraire châtié dont le Tunisois a le secret, Ghannouchi a cru devoir lancer, dans un élan d’affectueuse reconnaissance, en réponse à une question sur ses dispositions à se présenter à la présidence de la république: «Je ne suis candidat à aucun rôle dans l’Etat tunisien. La seule personnalité nationale qui me semble préparée à tenir un tel rôle, et à laquelle cette question aurait dû être posée, est le cheikh Abdelfattah, lequel est mon unique candidat!»
On ne peut être plus clair… Cette annonce ne doit rien à l’émotion des retrouvailles. Elle n’a rien non plus de spontanée. On peut même dire qu’elle a été bien pensée, mûrie et sans doute aussi négociée. Souvenons-nous: cheikh Mourou avait, il y a quelques semaines, fait peser une vraie fausse «menace» de créer son propre parti et de fausser ainsi la compagnie à ses compagnons de combat.
Ce n’était, on l’a vite compris, qu’une fausse alerte et une manœuvre tactique. En vérité, les deux hommes se livraient à un jeu de rôle. Ce qui nous a poussé à nous demander, dans un précédent article, si l’avocat tunisois, qui a senti le vent tourner, ne cherchait pas aujourd’hui «à recentrer le mouvement islamiste et à le réorienter vers des positions plus consensuelles, de manière à brasser plus large et à cibler un électorat échaudé par les errements salafistes et qui a tendance mettre tous les ‘‘barbus’’ dans un même sac?»
Me Mourou, écrivions-nous dans le même article, semble avoir «retrouvé ses anciennes ambitions politiques, un temps contrariées par le système despotique de l’ex-président». Autant dire donc que notre hypothèse s’est finalement vérifiée…
Une figure plus centriste et plus ouverte
Ghannouchi, dont l’image est souvent associée, dans l’esprit des Tunisiens, au soufre de l’extrémisme et du salafisme, a finalement compris, qu’Ennahdha gagnerait beaucoup à s’attacher les services de Mourou, une figure plus centriste et plus ouverte, et dont les derniers passages à la télévision lui ont valu une certaine popularité, même en dehors du cercle de l’électorat islamiste traditionnel.
En mettant en avant Mourou, Ghannouchi cherche aussi à lisser l’image du parti Ennahdha auprès des électeurs issus des classes moyennes supérieures et surtout des femmes qui redoutent la montée des intégristes ennemis de l’émancipation féminine. Au passage, il dame aussi le pion à ses alliés d’hier, Néjib Chebbi, leader du Parti démocratique progressiste (Pdp), et Moncef Marzouki, leader du Congrès pour la république (Cpr), qui ont beaucoup soutenu les militants Ennahdha au cours des dernières années du règne de Ben Ali, en espérant peut-être gagner la sympathie de leur base.
Le blogueur Sami Ben Abdallah va plus loin en affirmant que, par cette annonce de bon sens, Ghannouchi vient d’«infliger une grande leçon de realpolitik à ses deux ex-alliés (…) qui ont cru durant des années [le] bluffer et miser sur sa clientèle islamiste».
Quoi qu’il en soit, il n’est pas dit qu’en mettant en avant l’une de leurs figures les plus rassurantes, les islamistes vont pouvoir vraiment rassurer les Tunisiens sur leurs ambitions à moyen et long termes. Le débat sur la place des islamistes dans la scène politique tunisienne post-révolution est donc loin d’être clos. Il vient juste d’être relancé...
Ridha Kéfi
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