Tous les assassinats sont condamnables, mais certains le sont moins que d’autres. Celui d’Oussama Ben Laden ne l’est pas, en tout cas, au regard des Tunisiens. Et pour cause…
Par Ridha Kéfi


Dès son implantation en Afghanistan, Al-Qaïda a attiré comme un aimant un grand nombre de jeunes tunisiens ayant succombé aux sirènes du jihadisme. Beaucoup de ces jeunes se sont retrouvés par la suite au pénitencier américain de Guantanamo. D’autres ont trouvé la mort dans les champs de bataille en Afghanistan, en Irak et ailleurs. D’autres enfin ont été arrêtés, dans des pays européens et arabes, et condamnés à des peines de prison pour adhésion à des groupes armés et/ou implication dans la planification d’attentats terroristes.

Les tyrans et leurs alter ego, les terroristes
Aucune étude ou enquête sérieuse n’a été réalisée sur les Tunisiens d’Al-Qaïda, mais certains rapports de l’armée américaine publiés au milieu des années 2000 estimaient que la Tunisie comptait, à l’époque, le plus grand nombre de jihadistes arrêtés en Irak… rapporté au nombre d’habitants. Seule la Libye de Kadhafi avait fait «mieux».
Ce qui démontre, si besoin est, la relation de cause à effet existant entre la dictature et le jihadisme, l’une alimentant l’autre pour mieux se justifier en retour.
J’ai d’ailleurs développé cette hypothèse, il y a près de dix ans, dans un article intitulé «Le silence des agneaux dans le monde arabe», parue dans ‘‘Jeune Afrique’’ (N° 2140, du 15 au 21 janvier 2002) et reprise par ‘‘Le Monde’’ (du 24 janvier 2002). J’avais alors attribué la responsabilité de l’état de délabrement général dans le monde arabe «aux tyrans et à leurs alter ego, les terroristes».
Est-ce à dire que la fin des tyrannies, sous les coups de boutoir des révolutions arabes en cours, annonce aussi la fin du terrorisme? Nous le pensons. La concomitance de l’assassinat de Ben Laden et de la chute des régimes de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte, et même, bientôt, de Kadhafi en Libye, de Salah au Yémen et d’Assad en Syrie n’est pas le fruit du hasard. C’est le début d’un nouveau cycle de l’Histoire de la région qui commence, dont les caractéristiques et les acteurs ne tarderont pas à émerger.

Des balles dans la tête
Revenons cependant à Ben Laden. Le chef du groupe terroriste Al-Qaïda se cachait dans une résidence située près d’une académie militaire pakistanaise à Abbotabad, à moins de deux heures de route d’Islamabad lorsqu’il a été tué dans la nuit de dimanche à lundi lors d’une opération menée par la Cia, l’agence de renseignement américaine, et impliquant des hélicoptères et des forces au sol.
«Après minuit, un grand nombre de commandos ont encerclé le complexe. Trois hélicoptères étaient en survol. Tout à coup, des tirs ont éclaté en provenance du sol et en direction des hélicoptères», a raconté un habitant, Nasir Khan, à l’agence Reuters. «Il y a eu des échanges de tirs intenses et j’ai vu un hélicoptère chuter», a poursuivi cet habitant, qui a suivi la scène du toit de sa maison.
Des responsables des services de sécurité pakistanais ont déclaré que l’opération, menée vers 1h30 du matin, avait impliqué des hélicoptères et des troupes au sol et que les forces pakistanaises y avaient participé.

La chaîne de télévision Express 24/7 a diffusé une image montrant ce qu’elle a présenté comme étant Ben Laden touché par balles à la tête, le bas du visage défiguré. Fin tragique, et violente, à l’image du parcours de ce Saoudien d’origine yéménite, riche héritier d’une famille de bâtisseurs qui a utilisé sa fortune pour mettre en place un réseau terroriste parmi les plus redoutables au monde.

L’attentat de Djerba
Depuis sa création au milieu des années 1990, Al-Qaïda a semé la terreur partout où il a pu recruter des agents. Si les attentats contre les deux tours du World Trade Center, à New York, le 11 septembre 2001, qui ont fait plus de 3.000 morts, ont été les plus spectaculaires et les plus tragiques, Al-Qaïda en a commis des dizaines d’autres à travers le monde qui ont fait des dizaines de milliers de morts, en majorité des musulmans: de Madrid à Karachi, de Londres à Istanbul, de Casablanca à Bali...
La Tunisie, on le sait, n’a pas échappé à la folie meurtrière de Ben Laden et de ses hommes. Souvenons-nous de l’attentat de Djerba, le 11 avril 2002. Ce jour-là, un camion citerne rempli d’explosifs a sauté devant la synagogue de la Ghriba, au cœur de l’île. L’attaque, revendiquée par Al-Qaïda, a tué 14 touristes allemands, cinq Tunisien et deux Français.   
L’attaque, comme on le saura par la suite, a été perpétrée par un kamikaze Tunisien, Walid Nawar, qui était embrigadé par deux éléments d’Al Qaïda, le Koweïtien Khalid Cheikh Mohammed, l’un des planificateurs de l’attentat de New York, et l’Allemand converti à l’islam Christian Ganczarski.
Depuis, l’activité touristique dans l’île n’a jamais pu retrouver son rythme d’avant. Le nombre de touristes allemands se rendant en Tunisie chaque année a même chuté de 1,1 millions en 2000 à moins de 400.000 en 2002 et ce chiffre n’a pas beaucoup évolué depuis.

Le rapt des deux touristes autrichiens
Six ans plus tard, le 22 février 2008, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a kidnappé, au sud de la Tunisie, un couple de touristes autrichiens, Wolfgang Ebner, 51 ans, et Andrea Kloiber, 43 ans, qui ont été transférés au nord du Mali.
Dans le message revendiquant le kidnapping, diffusé le 10 mars, Al-Qaïda a traité la Tunisie d’«Etat apostat» et menacé les touristes occidentaux qui se rendraient dans notre pays, prévenant «que les mains des moudjahidines peuvent les atteindre où qu’ils se trouvent sur le sol tunisien.»
Les deux otages ont finalement été libérés, le 31 octobre, au terme de 252 jours de séquestration, et après le payement d’une rançon de quelque 2 millions d’euros. D’autres otages européens, kidnappés par l’Aqmi dans d’autres zones du Sahara et du Sahel n’ont pas eu cette chance. Certains ont même été sauvagement assassinés.
Comme dans le cas des touristes allemands après l’attentat de Djerba, le flux de touristes autrichiens vers la Tunisie a accusé le coup de la grande médiatisation du rapt du couple Ebner-Kloiber.
Tout cela pour dire que la mort de Ben Laden, si tant est qu’elle annonce le démantèlement de son réseau, déjà largement affaibli, serait donc une très bonne nouvelle pour l’humanité tout entière. Les Tunisiens, qui ont souffert eux aussi des conséquences néfastes de ses folies meurtrières, n’ont aucune raison de le pleurer. Ils en ont beaucoup, en revanche, pour se sentir soulagés.