La Commission européenne a demandé, mardi, des clarifications à la France et l’Italie au sujet de leurs politiques controversées à l’égard des milliers de migrants tunisiens arrivant chez elles.


Rome doit fournir «dans un délai de deux semaines» des éclaircissements sur les permis de séjour et documents de voyages délivrés aux Tunisiens afin qu’ils puissent se rendre en France, tandis que Paris doit fournir «dès que possible» des précisions sur les contrôles effectués dans les zones frontalières avec l’Italie.

Demande de clarifications des procédures
Bruxelles entend vérifier dans le premier cas que l’Italie ne distribue pas sans contrôle sérieux les documents dans le seul souci de voir les Tunisiens quitter le plus vite possible son territoire, souligne un diplomate.
Dans le cas français, l’exécutif européen veut s’assurer que les autorités ne procèdent pas à des contrôles systématiques et permanents, qui seraient en infraction avec les règles de l’espace Schengen sans frontières, souligne-t-il.
Dans le détail, il a été demandé au gouvernement italien, dans un courrier envoyé vendredi, de fournir dans un délai de deux semaines «plus de clarifications en ce qui concerne la procédure suivie et les critères retenus concernant les demandes» de permis et de documents de voyage par les Tunisiens, a souligné un porte-parole de la Commission, Marcin Grabiec.
Bruxelles veut savoir sur quoi se basent les autorités italiennes pour «établir l’identité et la nationalité des requérants». La Commission demande en outre ce que Rome prévoit pour les titulaires des permis italiens au bout de leur période de validité de 6 mois.

Les migrants, «otages» du… débat politique
Dans le cas de la France, «la Commission demande plus de clarifications concernant les contrôles policiers dans la zone frontalière» avec l’Italie, «en particulier la fréquence des contrôles effectués, ainsi que des informations sur les lieux de ces contrôles», a souligné le porte-parole.
La question de l’accueil des migrants tunisiens a provoqué des tensions entre la France et l’Italie, des pays où la question de l’immigration a été placée au cœur du débat politique par l’extrême droite.
Plus de 20.000 d’entre eux ont débarqué illégalement sur l’île italienne de Lampedusa depuis la révolution tunisienne et beaucoup souhaitent se rendre en France. Rome leur délivre des documents leur permettant de quitter l’Italie pour d’autres pays de l'espace Schengen, ce qui irrite Paris.
Quelque 72 immigrés, essentiellement tunisiens, ont encore été interpellés mardi matin dans un foyer à Nice, dans le sud-est de la France, dont un tiers ont été réadmis en Italie d’où ils venaient. D’autres opérations du même ordre ont eu lieu ces derniers jours ailleurs dans la région.
Des dizaines d’autres immigrés tunisiens, arrivés en France via l’Italie et interpellés la semaine dernière à Paris et Marseille, font aussi l’objet de procédures de reconduites à la frontière. Les autorités françaises entendent envoyer ainsi un signal pour dissuader de nouveaux exilés clandestins, qui suscite toutefois la colère d’associations dénonçant des arrestations «ciblant» les Tunisiens.
Engagées dans un bras de fer, la France et l'Italie ont plaidé en faveur d’une réforme de l’espace Schengen autorisant les pays à rétablir les contrôles aux frontières plus facilement. La Commission doit faire mercredi des propositions en ce sens. Son objectif: permettre une plus grande latitude pour rétablir les contrôles au sein de l’espace Schengen sans frontières.

Le «système Schengen» menacé
Le rétablissement temporaire des frontières nationales est une «possibilité parmi d'autres» à utiliser dans des conditions exceptionnelles, a précisé le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans une lettre envoyée en fin de semaine dernière à la France et à l’Italie.
Mais l’essentiel, estime un diplomate européen, est que le principe du rétablissement des contrôles aux frontières soit clairement signifié. Cette révision pourrait «miner la philosophie du système Schengen», qui repose sur la confiance mutuelle entre Etats, a toutefois averti Yves Pascouau, un expert européen des questions migratoires, dans une étude publiée mardi par le Centre européen de politique (European Policy Center).
Il est «essentiel» que le contrôle des frontières aux confins de l’Europe soit «efficace et crédible», souligne le texte que la Commission doit présenter mercredi et dont l’Afp a obtenu une copie encore susceptible de modifications.
Le rétablissement temporaire des frontières nationales doit «être une incitation à la vertu pour obliger ces pays à être plus rigoureux, plus exigeants», explique un diplomate.
La Commissaire européenne chargée des questions d’immigration Cecilia Malmström devrait aussi proposer un renforcement des compétences et de la capacité d’action de l’agence Frontex, l’organisme chargée de la surveillance des frontières extérieures de l’UE.
Ses propositions seront ensuite au menu d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur le 12 mai à Bruxelles avant d’être finalisées en juin à l’occasion d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
«L’objectif est d’aller le plus vite possible pour renforcer la gouvernance de l’espace Schengen», a confié un diplomate d’un grand pays européen.
Toutefois, si les propositions de Bruxelles vont dans le sens voulu par Paris et Rome, le débat sur le meilleur moyen de les mettre en œuvre n’est pas tranché. La France plaide pour un nouveau texte législatif changeant le code Schengen, afin de donner plus de poids aux modifications, alors que la Commission et certaines capitales penchent pour une procédure moins lourde de simple «clarification» des règles existantes, selon des diplomates.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a posé des limites à une modification des règles. «La liberté de mouvement en Europe est une telle réussite qu’elle ne devrait pas être renégociée», a-t-il souligné.
L’espace Schengen compte 25 Etats membres dont trois pays non membres de l’UE (Norvège, Suisse et Islande, et bientôt Liechtenstein). Il permet à plus de 400 millions de citoyens de circuler librement de la Finlande à la Grèce, du Portugal à la frontière polonaise, sans devoir montrer leur passeport.
L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, initialement prévue en mars dernier, est toujours en suspens.

Source : dépêches Afp.