Lors de l’entretien télévisé, dimanche, sur les chaînes nationales, Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre du gouvernement provisoire, s’est fait l’avocat de l’appareil sécuritaire, «qui passe par une crise psychologique».
Evoquant les récents dérapages sécuritaire dans la capitale et dans plusieurs autres villes de la Tunisie, M. Caïd Essebsi a expliqué que les appareils sécuritaires qui «se sont sentis heurtés et visés», subissent, actuellement, «un choc psychologique et une crise de confiance».
Qui a vu des snipers en Tunisie?
Quand les agents voient leurs collègues accusés d’agressions contre les citoyens et poursuivis par la justice, alors qu’ils n’ont fait qu’appliquer des ordres émanant de leurs supérieurs, ils hésitent à s’impliquer davantage dans des actions qui pourraient leur valoir de tels traitements, a laissé entendre le Premier ministre par intérim.
Interrogé sur les fameux snipers qui avaient tué plusieurs citoyens avant et après le 14 janvier, M. Caïd Essebsi a répondu que ces tireurs d’élite n’ont jamais existé. Il a ajouté que cela s’est passé avant son arrivée au Premier ministère, et que même Farhat Rajhi, l’ex-ministre de l’Intérieur, a nié leur existence.
Les citoyens qui ont des informations ou des preuves à ce sujet sont donc priés de les fournir à la justice. Peut-être verra-t-on plus clair dans cette affaire qui ajoute à la crise de confiance entre le gouvernement et la population.
M. Caïd Essebsi a fait état, par ailleurs, de la décision du ministère de l’Intérieur de poursuivre plusieurs agents dont l’implication a été confirmée dans des actes de violence contre des citoyens et des journalistes à la suite des manifestations organisées, à la fin de la semaine dernière, dans la capitale.
Crise dans les milieux carcéraux
L'établissement carcéral, agents et responsables, a-t-il encore souligné, vit, pour sa part, une crise, face à la poursuite des revendications professionnelles et sociales par le corps des établissements pénitentiaires et de rééducation, ajoutant que l’Etat est, actuellement, dans l’incapacité de satisfaire toutes ces revendications.
Les directeurs de certaines prisons, a-t-il poursuivi, ont réclamé la non-poursuite de l’un de leur collègue, accusé d’avoir tué un prisonnier. «Cela est impossible, partant de notre attachement à l’autonomie de la justice et à la non-ingérence dans ses affaires», a-t-il précisé.
Cela explique-t-il la multiplication des évasions massives des prisonniers de certains pénitenciers, comme, le 30 avril, les 1.100 évadés des prisons de Kasserine et de Gafsa, dans le sud-ouest du pays?
Ces évasions, le Premier ministre les explique par un subterfuge utilisé par les prisonniers, et qui a été appliqué à plusieurs reprises depuis le 14 janvier: les détenus commencent par mettre le feu dans leurs matelas. Les gardiens sont alors obligés d’ouvrir les portes des cellules pour éviter que les détenus meurent asphyxiés, comme cela s’est malheureusement passé en janvier à Monastir. Ces derniers profitent de l’occasion pour provoquer une mutinerie. Aidés, de l’extérieur, par leurs familles et complices, ils parviennent à ouvrir les portes des prisons et à s’enfuir.
Si cette explication de M. Caïd Essebsi semble plausible et recoupe les informations diffusés par les médias à ce sujet, elle n’explique cependant pas pourquoi les autorités carcérales n’ont pas encore trouvé la riposte qui s’impose à ce genre de stratagème. Parce que, dans l’état actuel d’insécurité dans le pays, l’évasion de centaines voire de milliers de prisonniers de droit commun ne va guère arranger les choses. Pour des milliers de prisonniers évadés, combien a-t-on pu arrêter de nouveau? Combien sont aujourd’hui dans la nature à planifier des attaques, des pillages et des agressions? Et à proposer leurs services sonnants et trébuchants à des fauteurs de troubles… politiques?
Et les sbires de Ben Ali dans tout ça?
Dire que les réponses de M. Caïd Essebsi concernant les questions sécuritaires n’ont pas été convaincantes et encore moins rassurantes est un euphémisme. Attribuer les dérapages sécuritaires à de mystérieuses «parties qui ne veulent pas que les élections soient organisées dans les délais fixés» est une manière de botter en touche et d’esquiver une question qui préoccupe au plus haut point les Tunisiens.
On remarquera aussi, au passage, que le Premier ministre par intérim n’a, à aucun moment, cité les sbires de Ben Ali et les membres du Rcd, l’ex-parti au pouvoir dissous, comme pouvant être les commanditaires sinon les auteurs des actes de dégradation et de sabotage, surtout les incendies des lycées et des postes de police. Ce qui laisse pour le moins perplexe. Et donne, malheureusement, du crédit aux affirmations de M. Rajhi que M. Caïd Essebsi voulait justement démentir.
S’agissant des développements de la situation sécuritaire sur les frontières tuniso-libyennes, le Premier ministre du gouvernement provisoire a été plus convaincant. M. Caïd Essebsi a précisé que la Tunisie a accueilli sur son territoire des frères libyens et leur a apporté toute l’assistance médicale nécessaire sans privilégier un belligérant aux dépens d’un autre, démentant, à cet égard, les rumeurs concernant une demande formulée par l’Otan à la Tunisie, afin de lui accorder des facilités sur son territoire pour mener une opération militaire terrestre en Libye. «Cette question n’est pas envisageable et celui qui y pense n’est pas responsable», a-t-il affirmé.
L’économie à vau l’eau…
Traitant du volet économique, le Premier ministre a souligné que le gouvernement provisoire a accordé la priorité aux régions intérieures dans les plans de développement et programmé dans ces régions plusieurs grands projets à haute employabilité. Par ailleurs, le budget complémentaire de l’Etat pour 2011, qui sera publié en juin, va inverser les proportions des dépenses prévues de l’Etat : 80% de ces dépenses seront consacrées aux régions intérieures et 20% au littoral, contrairement à ce qui était le cas jusque là.
En cas de poursuite de la dérive sécuritaire et des mouvements de grèves et de protestations à caractère professionnel et social dans les différentes régions du pays, a-t-il dit, «l’économie nationale va beaucoup perdre», ajoutant, en conclusion, que le gouvernement provisoire est résolument engagé à défendre la révolution populaire et à protéger ses acquis.
Imed Bahri
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