Le Premier ministre du gouvernement provisoire multiplie les rencontres avec les responsables de la société civile. Est-ce pour mieux expliquer ses dernières positions, dont certaines ont été mal comprises sinon très contestées?
La semaine dernière a été marquée par des manifestations durement réprimées par les forces de l’ordre. Il y a eu aussi des actes de violences et de pillages commis par des bandes organisées visiblement noyautées par des forces contre-révolutionnaires. Ce qui a contraint le gouvernement à décréter un couvre-feu entre 21 heures et 5 heures dans le grand Tunis et dans d’autres villes du pays.
Des clarifications qui s’imposent
Cet accès de fièvre – et le mot est faible – a été provoqué par les déclarations, mercredi 4 mai, de l’ex-ministre de l’Intérieur Farhat Rajhi, à propos d’un «gouvernement de l’ombre» constituée de figures originaires du Sahel (région de Sousse) et d’«un projet de putsch militaire en cas de succès du mouvement islamiste Ennahdha à l’issue de l’élection de l’assemblée constituante», le 24 juillet.
L’entretien télévisé de Béji Caïd Essebsi, dimanche, dans lequel il était censé apporter les clarifications nécessaires pour dissiper le malaise provoqué par les déclarations de M. Rajhi et désigner les vrais responsables des dérapages sécuritaires, n’a pas atteint son but. Au contraire, le Premier ministre a donné l’impression de vouloir régler ses comptes avec M. Rajhi. Par ailleurs, la manœuvre du gouvernement visant à priver ce dernier de son immunité judiciaire, prélude à sa poursuite devant les tribunaux, a alourdi davantage l’atmosphère de suspicion généralisée.
C’est dans cette ambiance délétère que M. Caïd Essebsi a multiplié les rencontres avec les représentants des organisations nationales, partis politiques et instances impliquées dans la gestion de la transition démocratique.
Le Premier ministre cherche visiblement à expliquer sa position et à rassurer ses interlocuteurs sur la détermination du gouvernement provisoire à respecter la volonté populaire exprimée par la révolution. Et l'agenda politique convenu de la transition.
Une débauche d’énergie
M. Caïd Essebsi a ainsi reçu, en deux jours, mardi et mercredi, au palais du gouvernement de la Kasbah, près d’une vingtaine de personnalités nationales. Il s’agit de Abdessalem Jrad, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), de trois représentants de partis de centre-gauche reçus ensemble, Maya Jeribi, Ahmed Ibrahim et Mustapha Ben Jaafar, secrétaires généraux respectifs du Parti démocrate progressiste (Pdp), du mouvement Ettajdid et du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl), Abderrazak Kilani, bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie (Coat), Yadh Ben Achour, président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, qui était accompagné d’autres membres de la Haute instance, Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (Ltdh), Kamel Labidi, président de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), lui aussi accompagné de membres de son équipe, Rached Ghannouchi, président du mouvement islamiste Ennahdha, Sana Ben Achour, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) et autres Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti socialiste de gauche (Psg).
Une nouvelle méthode de communication
On imagine que la liste est loin d’être close et que d’autres personnalités seront reçues aujourd’hui et dans les prochains jours. Cette débauche d’énergie, de la part d’un homme de plus de 80 ans, s’inscrit, à l’évidence, dans une nouvelle méthode de communication politique, fondée sur le contact direct, ou «al-ittisal al-moubacher», comme disait Bourguiba, l’idole de M. Caïd Essebsi.
Le Premier ministre par intérim semble donc avoir pris conscience de la nécessité de maintenir des contacts directs et réguliers avec les acteurs de la scène politique, surtout en cette période caractérisée par l’instabilité sécuritaire et la volatilité de l’opinion. Il avait d’ailleurs annoncé, dans son entretien télévisé de dimanche, la mise en place prochaine d’une cellule de communication pour parer aux défaillances et dysfonctionnements de la communication gouvernementale et maintenir un contact permanent avec les médias, et à travers eux, avec l’opinion publique. «Vous voulez tout savoir sur ce que fait le gouvernement, nous allons désormais tout vous dire», avait lancé M. Caïd Essebsi. «Tout dire» pour dissiper les soupçons et parer aux procès d’intention que beaucoup lui font depuis quelque temps. Il lui reste maintenant à mettre en conformité ses paroles et ses actes. En aura-t-il le courage ou les moyens, lui qui a fait toute sa carrière au sein d’un système politique classique, qui considère que le peuple ne doit pas tout savoir et que l’Etat doit préserver son mystère et ses secrets?
Ridha Kéfi