«On ne peut pas demander à un gouvernement de transition de changer radicalement le pays. Ceux qui seront élus le 24 juillet auront à répondre aux attentes du peuple», déclare Mustapha Ben Jaafar. Par Zohra Abid
Le secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl) parlait mercredi à Tunis, au cours d’un déjeuner-débat avec la presse.
En quelques phrases, M. Ben Jaafar a brossé un tableau peu reluisant de la situation dans le pays au lendemain de la révolution.
Interrogé sur sa rencontre la veille avec le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, il a répondu que le 15 janvier, avec le premier et ensuite le deuxième gouvernement de transition, le peuple tunisien a fait un faux pas et raté une des marches de la révolution: celle de la confiance. D’où les difficultés que rencontre actuellement la Tunisie.
Accélérer les poursuites judiciaires
M. Ben Jaafar a rappelé que le premier gouvernement comptait plusieurs figures emblématiques de l’ancien régime. Il a fallu la pression de la rue et des sit-in de la Kasbah pour qu’il y ait changement. «Aujourd’hui, il y a un homme sage, assermenté, qui connaît les rouages de la politique et qui peut tenir le pays jusqu’aux élections du 24 juillet», estime le leader du Fdtl. Selon lui, le 24 juillet est un rendez-vous sacré et doit être maintenu. «On parle beaucoup du report ou du maintien de cette date. Pour l’intérêt général, je suis contre le report. Car il y a de plus en plus de dérapages et d’insécurité dans la rue et dans les institutions. Ceci est dû à un manque flagrant de confiance entre le peuple et ses dirigeants. Ces derniers n’ont pas la légitimité totale pour gouverner», a-t-il ajouté.
Autrement dit, le vrai gouvernement qui va tenir la Tunisie naîtra de cette échéance et ce sera lui qui aura à gérer les affaires du peuple et à mettre en place les réformes profondes. «Les Tunisiens vont voter dans la transparence. Une fois, le gouvernement élu sera en place, personne ne viendra demander à ce dernier de dégager. Il va avoir de gros dossiers à gérer: la constitution, la situation économique et sociale, l’emploi, la culture, l’enseignement et la santé», explique Dr Ben Jaâfar.
Couper court aux rumeurs
Le secrétaire général du Fdtl insistee beaucoup sur le statut du gouvernement provisoire qui ne peut qu’apaiser les maux du citoyen, et non éradiquer le mal qui le ronge depuis des décennies. Dans le même sens, M. Ben Jaafar appelle à l’accélération des poursuites judiciaires engagées à l’encontre des responsables de l’ancien régime. «Juger ces gens-là est la seule issue pour calmer les esprits», plaide-t-il. Pour aller de l’avant, il faut bien un tel coup d’accélérateur traduisant la bonne volonté du gouvernement, seul moyen pour couper court aux rumeurs d’une faveur réservée aux proches du pouvoir déchu», explique-t-il. «Il faut désigner des juges qui se chargeront uniquement de ces affaires. Dans nos tribunaux, il y en a des juges qui sont en train de se tourner les pouces», ajoute-t-il.
En évoquant la question de l’insécurité, la première chose qui vient à l’esprit c’est, bien sûr, la dernière déclaration de Farhat Rajhi, ancien ministre de l’Intérieur, selon laquelle «il existe un gouvernement de l’ombre», et qui n’a pas manqué de provoquer des mouvements de protestation partout dans le pays.
Selon M. Ben Jaafar, cette déclaration est grave et irresponsable, car elle a provoqué une vague d’agitation le week-end dernier dans plusieurs régions. «Je suis navré. Avec mes respects pour l’homme et pour le juge, je dis qu’il s’agit d’un acte irresponsable. Un haut responsable ne peut pas donner crédit à des considérations régionalistes. Mais où veut-il en venir? Appelle-t-il à la haine et au retour à une époque révolue, celle du tribalisme et du régionalisme? Cela menacerait notre stabilité et ébrècherait les valeurs de la révolution», dénonce-t-il. Et il condamne tout aussi fermement les propos de l’ancien ministre de l’Intérieur sur un projet de complot militaire qui se tramerait dans les coulisses si le parti islamiste Ennahdha remportait un jour les élections. «C’est grâce à notre armée que notre pays a évité un bain de sang. Maintenant, l’heure est pour la construction et non à la destruction qui ne peut que porter préjudice au pays», lance-t-il.
Quid du programme du Fdtl? Quelles idées propose-t-il pour construire le pays sur des bases solides? L’ancien opposant à Bourguiba et à Ben Ali, et qui se garde de s’impliquer dans l’actuel régime, rappelle que son parti, fondé en avril 1994, n’a pas existé depuis des dizaines d’années et qu’il n’est pas, non plus, né de la dernière pluie ni n’a poussé comme un champignon après le 14 janvier. Le Fdtl a ses objectifs et un programme. «Le Fdtl est fier de la lutte qu’il a menée sans relâche pour faire triompher les valeurs de la démocratie», affirme M. Ben Jaafar. Et d’ajouter que son parti tire également sa légitime de sa contribution à faire germer la fleur de la révolution de la liberté et de la dignité qui a mis un terme à un régime dictatorial et corrompu.
Les préparatifs de la campagne
«Nous avons été privés six ans de notre passeport et nous avons souvent passé des soirées dans les locaux du ministère de l’Intérieur. Nous ne l’avons pas crié sur tous les toits. Nous n’avons pas fait de grève de la faim. L’essentiel pour nous est de militer sur le terrain pour la démocratie, de la justice sociale et de la concrétisation de l’identité arabo-musulmane. Nous comptons sur notre principal capital, qui est la jeunesse», dit-il, tout en appelant à mettre en première ligne la garantie de la liberté publique et individuelle en agissant pour la défense de droits de l’homme, en préservant les acquis sociaux, en rejetant l’exclusion, la domination, l’extrémisme, le fanatisme et la violence, en assurant la qualité des soins dans le domaine de la santé et en prêtant une attention particulière aux droits et conditions de séjour des Tunisiens à l’étranger. Il s’agit aussi de rester ouvert sur l’étranger, d’être à l’heure de la modernité et du développement...» Tout cela sera, selon le leader du Fdtl, bien tracé et structuré les 21 et 22 mai lors de la réunion prochaine du bureau du parti. Ce sera, selon le conférencier, comme un avant-goût du lancement de la campagne électorale. Qui a dit que le Fdtl ne fait sa campagne que dans les grandes villes? A ce propos, M. Ben Jaafar affirme que son parti a déjà effectué plusieurs visites dans des patelins et autres villes de la Tunisie profonde. «Il y a eu des meetings à Sidi Bouzid, Kasserine, Béjà, Kairouan et cela c’était bien passé. Ce samedi, nous irons au Kef avant de rencontrer les habitants de Jendouba le dimanche. Les rencontres avec le peuple vont se multiplier les semaines à venir», annonce-t-il pour réfuter l’accusation selon laquelle le Fdtl serait un parti de citadins habitant la banlieue nord de Tunis.
Comment le Fdtl va-t-il financer sa campagne électorale? M. Ben Jaafar dit que, pour le moment, son parti ne compte que sur les apports de ses d’adhérents. Il ajoute n’avoir jamais eu de financement extérieur ni pour son parti, ni pour ‘‘Mouwatinoun’’, son journal hebdomadaire bilingue.
Interrogé sur le timing de la campagne électorale dans les médias, Dr Ben Jaafar avoue ne pas en savoir plus que la presse. Selon lui, les dates vont être fixées par le gouvernement. Craint-il l’influence sur cette campagne des télévisions étrangères émettant hors du pays, et qui ne seraient pas tenues de respecter les exigences d’équilibre du passage des candidats, comme France 24 et la chaîne qatarie Al-Jazira, deux chaînes très suivies par les Tunisiens et qui jouissent d’une certaine crédibilité auprès des Tunisien? Ben Jaafar préfère réserver sa réponse. Pour le moment. En attendant, peut-être, de voir comment ces chaînes vont se comporter lors du début de la campagne. Et puis, pourquoi jeter la pierre? Les grands médias, il vaut mieux les avoir avec soi.