A l’approche de la première élection libre, pluraliste et transparente en Tunisie, le 24 juillet, les moyens de financement des partis émerge comme une question centrale dans le pays.
Sous la dictature, il y avait un nombre réduit de partis, pour la plupart satellisés par le gouvernement, qui émargeaient – légalement, mais au prorata de leur allégeance au régime de Ben Ali – sur des financements publics.
Quels financements et selon quels critères?
Après le 14 janvier, des dizaines de nouveaux partis ont vu le jour. Leur nombre a déjà dépassé la soixantaine. D’ici l’élection de l’Assemblée constituante, ils pourraient dépasser les 70. Comment ces partis vont-ils financer leurs activités et leurs campagnes? L’Etat a-t-il les moyens de tous les financer? Sur quelle base et selon quels critères? Les apports des membres et les dons des sympathisants doivent-ils être plafonnés? Et si certains de ces partis acceptaient des financements extérieurs? Comment contrôler ces flux de financement? Comment établir un minimum d’équité entre les partis en matière de financement?
Ce sont là autant de problèmes que les pouvoirs provisoires devraient régler afin d’assurer la transparence et l’équité, conditions sine qua non d’une élection dont les résultats seraient acceptés par toutes les parties.
Pour contribuer au débat national sur cette question, le Centre Kawakibi pour la transition démocratique et le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), ont organisé, vendredi, une conférence sur «les législations et le financement des partis politique en Tunisie: approches comparatives».
Les travaux de la conférence ont porté sur les législations relatives à la réglementation, à l’organisation de l’activité des partis, et à leur financement public et privé, ainsi que sur les mécanismes de suivi et de contrôle de l’Etat vis- à-vis des partis, sans porter atteinte à leurs droits et à leur liberté d’action.
Des juristes et des experts, tunisiens et étrangers, des représentants des partis politiques et de la société civile ont pris part à la conférence qui a abouti à des recommandations dans la perspective de l’élaboration de la loi de financement des partis politiques en Tunisie et de la campagne électorale pour l’élection de l’assemblée constituante.
Comment garantir la transparence des financements
Lors de la séance d’ouverture, Mustapha Beltaief, membre de la commission d’experts de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, a souligné que la démocratie nécessite la mise en place de règlements pour l’action politique. Une situation, a-t-il ajouté, qui explique l’importance de la loi dans l’organisation de l’activité des partis et dans la garantie de leur financement en toute transparence. Il a fait aussi remarquer que le grand nombre de partis qui ont émergé en Tunisie est une conséquence normale et saine, qui reflète la soif de l’élite à participer à la gestion des affaires publiques «après des décennies de refoulement et de peur».
Mohamed Belhocine, représentant résident du Pnud à Tunis, a mis en exergue, de son côté, le besoin des partis politiques, notamment les nouveaux, d’un financement public, à l’approche de la campagne électorale, relevant la nécessité de tirer profit des législations des pays ayant des traditions démocratiques, en matière de promulgation de lois des partis, dans la mise en œuvre de réformes politiques, particulièrement sur le plan du dialogue national, de l’opération électorale et du développement de la société civile.
Pour un conseil national des partis politiques
Mohsen Marzouk, président du comité exécutif du centre Kawakibi, a, pour sa part, appelé à la mise en place d’un conseil national des partis politiques tunisiens qui aura pour mission d’approfondir le dialogue civil pluraliste entre tous les partis et de consolider leurs capacités organisationnelles et de communication. Il a, dans ce contexte, souligné l’importance du pacte républicain dans l’engagement des différentes sensibilités politiques à respecter les règlements juridiques et civils qui défendent le processus de réforme politique.
Au cours de la première séance, qui a porté sur «les législations des partis politiques», les interventions ont souligné la nécessité que la loi sur les partis mette en place la plateforme institutionnelle de la transition démocratique, en accord avec les lois électorale, des associations et de la presse.
Eric Thiers, conseiller des services de l’Assemblée nationale française, a évoqué l’expérience de son pays, dans le domaine de l’organisation de la vie politique, soulignant l’importance du rôle du cadre juridique dans la l’organisation de la vie politique. Il a insisté sur la nécessité de créer des mécanismes de contrôle de la transparence du financement afin de garantir une compétition équilibrée entre les partis et lutter contre la corruption et les groupes de pression.
De son côté, Henady Foued, du Centre Al Qods, a exposé l’expérience de la Jordanie dans l'élaboration d’une loi sur les partis, loi qui a connu deux amendements importants, en 1992 et 2007, et qui «n’a pas pu répondre aux attentes des partis dans l’instauration d’un climat politique démocratique pluraliste», en Jordanie. Traduire : il ne s’agit pas d’avoir des lois – sous le règne de Ben Ali, les Tunisiens en ont été gavés –, mais d’en avoir de bonnes et, surtout, de les mettre en application. Mme Foued a ajouté que les réformes législatives revendiquées par le peuple jordanien, lors des dernières manifestations, ont conduit à la création d’une commission de dialogue national qui va se pencher sur l’élaboration d'une nouvelle loi électorale et une autre pour les partis consacrant leurs droits de bénéficier d’un financement public permanent et équitable.
L’interdiction des financements extérieurs
La deuxième séance, qui a porté sur «le financement des partis politiques» a comporté deux interventions. Dans la première, Ingrid Van Biezen, professeur de politique comparée à l’université de Leiden, a insisté sur la nécessité pour l’Etat de créer un mécanisme de contrôle des financements et de la gestion financière des partis, lui permettant de prendre connaissance de l’origine et du volume des aides et des dons accordés aux partis. En parallèle, l’Etat doit prévoir l’interdiction totale des financements provenant de l’étranger et des administrations publiques, ainsi que la sanction des partis qui ne respectent pas la loi ou dont les financements ne sont pas transparents.
La deuxième intervention a porté sur «le contrôle des financements des partis par la cour des comptes». Le juge près la cour des comptes de Tunis, Houcine Haj Massaoud, a mis l’accent sur l’obligation pour les partis politiques de présenter un rapport annuel à la cour et qui explique la méthode de gestion des financements publics. Il a souligné la nécessité d’accorder l’indépendance à la cour des comptes afin qu’elle accomplisse sa mission sans contraintes gouvernementales, et de créer une commission nationale de contrôle des financements des partis.
La troisième séance de la conférence s’est déroulée dans le cadre de trois ateliers de travail autour du «financement entre le secteur public et du secteur privé», «les comptes et les partis politiques» et «les moyens de l’Etat pour le contrôle des partis».
Imed Bahri (avec Tap).