‘‘Zine El-Abidine Ben Ali doit être extradé et jugé’’ titrait, il y a quelques jours, le journal ‘‘Le Monde’’. Mais les Tunisiens sont-ils pressés de le voir débarquer parmi eux? Par Ridha Kéfi
‘‘Le Monde’’ estime que les accusations retenues contre l’ex-président et son épouse Leïla Trabelsi sont suffisamment graves pour justifier que Ryad passe outre aux «prétendues lois de l’hospitalité» et «renvoie dans son pays son encombrant protégé».
Les pressions de la rue
L’Arabie saoudite n’a pas intérêt, en effet, à abriter plus longtemps les Ben Ali, comme elle l’avait fait auparavant pour d’autres dictateurs destitués comme l’Ougandais Idi Amin Dada. Cela porterait un grave préjudice à son image sur le plan international.
De même, le monde a évolué, et l’exigence d’équité est telle que la justice internationale pourrait s’intéresser bientôt au cas de Ben Ali et des autres dictateurs déchus de la région.
Il y a un autre argument qui plaide en faveur l’extradition de l’ex-couple présidentiel. Tout en admettant que la justice tunisienne est «composée d’hommes qui ont servi le régime [déchu]» et qu’elle pourrait être soumise aujourd’hui «aux passions de la rue», ‘‘Le Monde’’ estime qu’au-delà «des risques, que le nouveau gouvernement doit s’attacher à écarter, en garantissant dans la nouvelle Constitution en préparation l’indépendance des tribunaux», «Zine El-Abidine Ben Ali doit être extradé et jugé».
Sur le fond, tous les Tunisiens sont d’accord sur la nécessité de rapatrier leur ancien oppresseur pour le juger par un tribunal tunisien. Mais tous ne sont pas d’avis qu’il doit être ramené dans le pays dans les plus brefs délais, car son retour aujourd’hui pourrait avoir des conséquences incalculables.
Ses partisans, qui n’ont pas tous désarmé et sont encore tapis dans l’ombre, sinon dans les coulisses de l’administration et de l’Etat, pourraient en effet reprendre du poil de la bête.
On pourrait craindre aussi qu’il soit assassiné pour qu’il se taise à jamais: combien de ses anciens collaborateurs et obligés seraient soulagés d’apprendre cette nouvelle?
Le gouvernement provisoire, qui souffre d’un grave déficit de légitimité et d’autorité, pourrait-il survivre à l’un ou l’autre scénario?
Rétablir d’abord la stabilité
Rien ne presse donc. Ni le gouvernement, ni la justice, ni les Tunisiens dans leur ensemble ne semblent prêts aujourd’hui à assurer un procès équitable et juste à Ben Ali. Il faut que le pays avance sur la voie de la transition démocratique et qu’il restaure la légitimité de ses institutions politiques, rétablisse la stabilité et remette la machine économique en marche pour pouvoir penser à faire extrader et juger Ben Ali.
Ce dernier pourra donc continuer à tourner les doigts à Abha, au sud de l’Arabie Saoudite, avec son épouse et leurs plus jeunes enfants, Halima et Mohamed Zine El Abidine. Pour quelques semaines encore. Ou pour quelques mois. Le temps d’écrire ses mémoires et de peaufiner sa défense. Il sait que, tôt ou tard, il devra rendre compte de ses crimes devant la justice de son pays, mais une justice enfin assainie et apaisée, et réconciliée avec sa mission.