Tout en saluant la création d’une Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violations enregistrés lors des derniers événements, le rapporteur Spécial des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants déplore, dans sa déclaration officielle, que «le nombre de poursuites et d’enquêtes judiciaires initiales liées à la torture et à l’usage disproportionné de la force reste réduit, bien que le travail de cette Commission ne remplace pas le rôle des procureurs et des juges».
Impunité des criminels et frustration des victimes
Selon M. Mendez, «le rythme lent des enquêtes et le manque général de signaux clairs prouvant que ces cas sont sérieusement examinés génèrent un sentiment de frustration et de colère parmi les victimes et le public de manière générale.»
L’expert onusien, qui se félicite du fait que «des compensations financières préliminaires ont été accordées aux victimes des événements de décembre et janvier derniers», relève également la persistance d’«un manque de clarté sur la façon dont le montant de ces compensations a été défini comme adéquat» et se demande s’il y a «des mesures prises pour offrir aux victimes et à leurs familles des services de réhabilitation.»
La mission de Mendez a été axée sur trois questions: les violations commises durant le régime de Ben Ali, les abus commis durant la révolution et les premiers mois du gouvernement provisoire et les mesures à mettre en œuvre afin de prévenir la torture et les mauvais traitements dans le futur.
En ce qui concerne la première question, il a recommandé «des investigations complètes et déterminées de tous les cas, la poursuite des auteurs ainsi que des réparations et des services de réhabilitation pour les victimes.»
En ce qui concerne la seconde, il a estimé que la Commission d’investigation doit terminer son travail «le plus rapidement possible», que ses constatations doivent être «suivies d’investigations et de poursuites lorsque cela se justifie» et que les victimes reçoivent des réparations.
En ce qui concerne la prévention de la torture, il a estimé que des réformes constitutionnelles, législatives et administratives sont nécessaires pour assurer la mise en place de sauvegardes solides contre la torture et les mauvais traitements.
M. Mendez s’est félicité du fait que la pratique de la torture et des mauvais traitements aient diminué suite aux instructions respectives lancées par les responsables des services de sécurité. Il affirme cependant avoir entendu des «témoignages crédibles» de détenus ayant été «battus lors de l’arrestation ou durant les premières heures de détention en garde à vue ainsi que durant l’interrogatoire». «De tels épisodes reflètent le fait que les vieilles habitudes des agents de police ne sont pas faciles à éradiquer», admet-il. Et il ajoute: «Qu’ils soient isolés ou plus fréquents, la violence physique infligée comme forme de punition ou intimidation reflète un manque de respect complet pour la présomption d’innocence et la dignité des personnes suspectées de crimes. Pour cette raison, tout acte de torture est intolérable et engage la responsabilité de l’Etat selon le droit international d’enquêter, poursuivre et punir cet acte.»
L’usage excessif de la force pour le maintien de l’ordre
M. Mendez dit avoir entendu aussi des témoignages selon lesquels «les sauvegardes durant l’arrestation et la détention, telles que les règles sur les mandats, l’examen médical obligatoire au moment de l’arrestation et du transfert, la notification de la famille, l’accès à un avocat, l’interrogation en présence de témoins, ainsi que le droit de ne pas s’auto-incriminer» ne sont pas respectées en pratique. «Malheureusement, certains de ces témoignages concernaient des événements qui ont eu lieu après la révolution du 14 janvier», précise-t-il, en rappelant que la police a réagi de façon violente à une manifestation organisée au début du mois de mai par des dizaines de jeunes.
«Ceci suggère que la police anti-émeute et les organes chargés de l’application de la loi recourent au mauvais traitement et à l’usage excessif de la force pour garder la situation sous contrôle», estime l’expert onusien.
«J’ai entendu des allégations selon lesquelles un groupe de jeunes aurait été victime d’arrestation arbitraire et aurait été battu, y compris plus de vingt mineurs», raconte M. Mendez dans sa déclaration officielle. Il ajoute: «Ils ont été arbitrairement détenus avec environ 46 adultes et emmenés dans un centre de détention sans pouvoir contacter un avocat ou informer leurs familles, et ce en dépit des dispositions claires dans la législation tunisienne concernant le code pénal et la procédure relatifs aux mineurs.» Ces jeunes «ont été relâchés vers 4 heures du matin dans l’une des zones les plus dangereuses de Tunis. Durant plus ou moins 12 heures de détention, ils ont été obligés de se mettre à genoux et de rester dans des positions inconfortables», rapporte M. Mendez dans son rapport.
Imed Bahri