«Je demande que des mesures soient prises pour lutter contre l’impunité, afin de garantir que les auteurs des crimes et violations des droits de l’homme commis au nom de la lutte contre le terrorisme rendent des comptes».


C’est ce qu’a déclaré Martin Scheinin, le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, à l’issue de sa mission officielle de suivi en Tunisie, du 22 au 26 mai.   
L’expert des Nations Unies, qui a eu «des entretiens ouverts et constructifs avec de nombreux agents de l’Etat», a insisté sur «le besoin d’entreprendre des réformes nécessaires au sein du cadre de la lutte contre le terrorisme, conformément au droit international des droits de l’homme.»

Changer la loi antiterroriste
M. Scheinin a rencontré à Tunis les ministres de la Justice et des Droits de l’homme, de l’Intérieur et du Développement local, le secrétaire d’Etat pour les Affaires étrangères, le Procureur-général pour l’administration de la justice, le président de la Commission d’établissement des faits sur les abus des droits de l’homme depuis le 17 décembre 2010, le porte-parole du Conseil de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, ainsi qu’avec des hauts représentants des agences du maintien de l’ordre.
Il s’est rendu également dans le centre de détention de Bouchoucha et à la prison d’Al-Mornaguia où il a pu s’entretenir en privé avec des suspects de crimes de terrorisme, a noté, «avec plaisir» que «la loi sur la lutte contre le terrorisme de 2003, source de tant d’abus, n’avait plus servi depuis les évènements du 14 janvier, notamment à l’égard du peuple tunisien qui exigeait le changement.»
Evoquant cette loi de 2003, connu sous le nom de loi antiterroriste, l’expert onusien a déclaré qu’«elle n’a pas apporté davantage de sécurité au peuple tunisien et a, au contraire, servi d’outil pour opprimer toute manifestation de dissension politique ou autre.» Selon lui, «le gouvernement transitoire l’a admis en promulguant une loi d’amnistie concernant tous ceux qui avaient été condamnés ou détenus au titre de la loi de 2003.»
M. Scheinin a appelé à «remplacer la loi de 2003 par un cadre législatif approprié qui règlemente des efforts déployés par la Tunisie pour lutter contre le terrorisme, conformément aux conventions et protocoles internationaux de lutte contre le terrorisme, tout en garantissant le respect des droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Culture du secret et écran d’impunité
M. Scheinin se félicite aussi de ce que le gouvernement transitoire ait désormais aboli le service de «police politique», par allusion aux éléments des organes de sécurité liés au ministère de l’Intérieur qui étaient responsables des actions musclées contre les militants politiques, les militants des droits de l’homme et autres dissidents. Il a cependant insisté sur le fait qu’il n’existe pas d’information aisément disponible au sujet de plusieurs organes de sécurité de l’Etat tunisien. «La culture du secret état un élément essentiel créant un véritable écran d’impunité permettant à ces agents d’agir dans l’ombre. Or toutes les fonctions et tous les pouvoirs des organes de sécurité doivent être réglementés par des lois auxquelles le public peut aisément avoir accès», déclare l’expert onusien. Il ajoute: «Une telle transparence évite que ne se créent des mythes au sujet des activités de ces agences et garantit aussi qu’elles rendent des comptes lorsqu’elles commettent des actes illicites.»

Affronter les pages noires du passé
Tout en saluant les premiers pas qui ont été franchis et des mesures prises afin d’établir les responsabilités pour les attaques contre les manifestants en janvier 2011, M. Scheinin souligne que «pour que l’espoir d’une Tunisie vraiment nouvelle se réalise, celle-ci doit d’abord affronter les pages noires de son passé.»  Il ajoute: «Il ne faut pas que les changements apportés au modus operandi des organes de sécurité en Tunisie se limitent aux grandes phrases mais donnent plutôt lieu à des mesures bien concrètes.»
«On m’a fait savoir qu’à ce jour, 60 agents de sécurité ont été arrêtés, 7 cadres supérieurs poursuivis et 42 agents contraints de prendre leur retraire ou partis volontairement à la retraite », a précisé aussi M. Scheinin, mais il a appelé la Tunisie à poursuivre ses enquêtes ex-officio au sujet des allégations de torture et de détention illégale, autant d’actes souvent commis au prétexte de la lutte contre le terrorisme. «Le fait de mener des enquêtes, de poursuivre et de juger les responsables de ces crimes pourrait contribuer à reconstruire la confiance entre la population et les forces de sécurité du pays», estime-t-il.