L’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Tunisie, évoque dans cet entretien* l’avenir des rapports tuniso-européens dans le cadre des changements dans la région et livre ses impression sur l’évolution de la transition en Tunisie. Recueillis par Mourad Teyeb
Kapitalis: Comment imaginez-vous les rapports entre l’Europe d’une part et la Tunisie et les pays de la zone Mena d’autre part au vue des développements des six derniers mois?
Adrianus Koetsenruijter: Il existe aujourd’hui un débat très fort en Europe: comment juger notre passé avec les anciens régimes et comment faire plus et mieux avec les peuples de la région.
La relation entre l’Europe et la Tunisie sera difficile et plus compliquée dans le cadre de tous ces changements.
Le plus grand défi est de revoir les relations entre les pays et les peuples des eux rives. Il faut aujourd’hui s’engager avec les peuples et chercher avec eux à atteindre la stabilité politique et la transition économique.
La démocratie jouera un rôle dans la stabilité des rapports entre l’Europe et les pays de la région. L’immigration, clandestine et légale, est-elle toujours au centre de ce débat?
Certainement. Le refus d’accueillir les immigrés illégaux est aussi dû aux peuples européens; ces mêmes Européens qui élisent les gouvernements.
Catherine Ashton a évoqué pour la première fois une nouvelle politique basée sur le concept MMM, c’est-à-dire :
- Money: face au coup sévère qu’a accusé le tourisme en Tunisie, il faut trouver les moyens pour plus de flux d’argent et pour attirer les investissements. Dans ce cadre, institutions financières internationales (Bei, Bad, BM…) sont supposés se mobiliser notamment dans la création des Pme.
- Market: l’Europe est le plus grand marché au monde. Ce qui suppose une énorme opportunité. Mais avec un Pib équivalent à la moitié de celui de la Sicile, la Tunisie n’est, pour l’Europe, qu’une niche économique qui doit être intégrée dans l’espace européen d’une manière réfléchie.
- Mobility: rien ne peut fonctionner sans la mobilité des biens et des personnes.
Cependant, les problèmes économiques dont souffre l’Europe compliquent la mobilité des demandeurs d’emploi. Il y a par exemple plus de 20% de chômage en Espagne. Le problème est donc partout.
Mais je conçois l’avenir en un «melting pot» qui absorberait tout le monde.
Que peut attendre la Tunisie du sommet du G8?
Dans ce sommet, la Tunisie représentera l’espoir de tous les peuples de la région Mena et même ceux de l’Europe. Nous souhaitons inaugurer une nouvelle ère plus constructive. Mais il ne faut pas tout réduire à l’argent. Il y a aussi lieu d’améliorer les connaissances et les compétences.
A cet effet, l’Union européenne a mis en place beaucoup de programmes pour la formation et la mise à niveau des secteurs de la jeunesse, des médias et des professions légales.
Le programme consacré au secteur de la justice consiste en des cycles de formation pour les avocats et les magistrats. Dans ce métier (comme dans tout autre, au fait!) la mise en cause doit être permanente. Même en Europe, d’ailleurs.
L’idée ne date pas d’aujourd’hui. Elle a juste été rejetée par l’ancien régime. Elle a été relancée aujourd’hui et le programme démarrera en 2012.
Quel rôle avez-vous joué dans le dossier des réfugiés dans le sud tunisien?
Quelques 400.000 réfugiés ont été évacués vers leurs pays grâce à l’argent américain et européen.
Le nombre de ceux qui sont restés en Tunisie est quand-même énorme. Il est équivalent à presque 20% de la population du sud tunisien. C’est l’occasion pour dire que ce qu’ont fait les familles du sud est admirable.
Nous sommes en concertation avec le gouvernement tunisien et en contact permanent avec nos équipes dans les différents camps du sud pour assurer le suivi et l’aide nécessaires.
Les histoires sur une possible présence de membres de l’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sur le territoire tunisien sont de plus en plus récurrentes. Considérez-vous qu’il y ait aujourd’hui une menace terroriste réelle?
Ça ne m’inquiète pas. C’est un phénomène de la région et ça a toujours existé en Tunisie, même si on n’en a jamais parlé.
Je pense que la Tunisie est vigilante et je suis confiant en dépit des répercussions négatives de ce phénomène sur l’image du pays, et par conséquent sur son tourisme.
Pensez vous que les élections de la Constituante auront bel et bien lieu le 24 juillet prochain ? Je pense que c’est une décision 100% tunisienne.
Ceci dit, être prêt le jour J nécessite beaucoup d’efforts de la part des autorités tunisiennes.
Personne ne m’a dit que la date du 24 juillet sera reportée et on ne fera que ce que les Tunisiens nous demanderont.
Dans tous les cas, on va traiter avec l’assemblée constituante comme si elle sera un parlement et non pas uniquement une structure provisoire.
Après quelques mois de révolution, trouvez-vous que les médias tunisiens ont changé?
Je suis content de voir plus d’opinions. Les journalistes tunisiens vont tout apprendre avec le temps et on va contribuer à leur formation car je suis persuadé que 50% de la démocratie réside dans la presse.
Vous avez regretté l’impossibilité de discuter des questions pressantes, notamment quelques aspects de la coopération économique avec l’Europe, à cause du statut provisoire du gouvernement.
C’est vrai. Dans quelques dossiers comme l’agriculture, l’open-sky, et les services en général, on n’a pas trouvé d’interlocuteurs avec qui négocier les procédures des levées des restrictions.
Mais on comprend que quelques ministres dans le gouvernement provisoire ont actuellement d’autres priorités.
* L’entretien a été réalisé en marge d’un séminaire organisé récemment par la Fondation Friedrich Ebert et l’Association des études internationales (Aei) sur «l’UE et la Tunisie nouvelle».