Le 24 mai, le Parti pour le progrès (Ppp) obtient son visa. Six jours après, ses membres rencontrent à Tunis les médias. Quelle vision véhicule le Ppp qui, selon son porte-parole, se positionne dans la gauche modérée?
Dans l’échiquier politique actuel, ils sont des dizaines à se bousculer pour une place au soleil. Il y a les quelques anciens qui ont résisté au régime déchu, et plus de 70 nouveaux nés. Fethi Touzri, porte parole et co-fondateur du Ppp n’est pas tombé des dernières pluies de la révolution. Ce médecin psychiatre a dû militer 9 ans durant aux côtés de ses camardes du Parti démocratique progressiste (Pdp). Pourquoi a-t-il tourné le dos à sa famille ? «Nous avons proposé quelques changements. Ça n’a pas marché. Les différends se sont multipliés et les écarts se sont creusés. Nous avons préféré nous retirer», a-t-il répondu sans trop s’attarder sur les détails de la mésentente cordiale avec Néjib Chebbi et ses camarades. En effet, il y a trois ans, M. Touzri, Mohamed Goumani et Omar Mejri ont quitté le Pdp.
Rompre définitivement avec le régime déchu
Avec la création de ce parti, on comprend bien les raisons de ce retrait. Fethi Touzri estime que sa place n’est plus avec ses camarades d’avant. Si le Pdp appelle aujourd’hui à une «réconciliation nationale», lui, il rejette en bloc cette idée. «Ce qui nous a réunis dans le Ppp, c’est un projet politique, une cause, une mission, et surtout l’idée de rompre définitivement avec le régime déchu. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrions parler de l’avenir et d’une meilleure gouvernance afin d’instaurer dans le pays de nouvelles valeurs comme l’égalité des chances entre les individus et les régions et une justice pour tous sans recours au favoritisme», a-t-il expliqué à un parterre de journalistes. Et d’ajouter qu’il n’est pas possible d’avancer dans le bon sens sans faire le bilan des fautes commises par ceux qui faisaient la propagande de la famille de l’ancien régime. Selon le leader du Ppp, il est temps de mettre sur pied «de nouveaux principes politiques sans mercantilisme, sans business familial ou autres pratiques de corruption. Ça ne doit plus exister après cette révolution qui est celle de la dignité».
La démocratie ne se fait pas en un jour
Interrogé sur le financement du Ppp, M. Touzri a dit que son parti vit pour le moment grâce au financement de ses membres et qu’il va se soumettre à la loi du financement des partis dès qu’elle sera promulguée.
Fethi Touzri dit que le chemin vers la démocratie va être long. Car selon lui, ce n’est pas facile de se débarrasser d’une dictature qui a enraciné pendant deux décennies ses tentacules dans toutes les familles, dans toutes les institutions et dans toutes les administrations. «Dans ce cas, comment pouvons-nous passer d’un régime totalitaire à un autre de démocratie? C’est dur. Il faut qu’il y ait un Etat fort qui protège le citoyen, le sécurise, défend ses intérêts. Non à un Etat qui opprime le Tunisien moyen, le détruit et qui se place aux côtés des dictateurs et de ceux qui ont de l’argent. Pas facile de passer de la dictature au pluralisme», a-t-il expliqué. Sans cacher son inquiétude à propos du pluralisme qu’on voit aujourd’hui avec tant de partis et tant de clans. «D’un côté le pluralisme, c’est bien. Mais de l’autre, lorsqu’il devient basé sur l’argent et les intérêts, il y a de quoi s’inquiéter pour cette démocratie naissante».
Un Etat de droit et de moralité
Fethi Touzri a promis que son programme sera communiqué dans les jours qui viennent. Pour en savoir dans le détail, rendez-vous le 4 juin à la Coupole d’El Menzah. Mais ceci n’a pas empêché M. Touzri d’annoncer les couleurs de son parti. Ce qui caractérise son parti, c’est avant tout «le pari sur l’homme, la liberté, l’éthique, le travail et l’innovation». Le parti s’inscrit notamment dans une lignée de réformes qui s’oppose à toute sorte de discrimination. «Nous voulons nous inscrire dans les valeurs de notre identité nationale, maghrébine, arabo-islamique et dans les valeurs de droit humain. Cet ensemble constitue pour nous le socle moral et éthique de notre projet politique», a-t-il dit. Et de mettre l’accent sur les réformes nécessaires «de l’enseignement, de la formation et de la santé, des secteurs qui vont très mal», a insisté le psychiatre qui plaide d’un autre côté, pour un Etat qui met de l’avant le développement sans ségrégation aucune. «L’Etat a connu des succès et des échecs dans le développement. Nous devons en tirer des leçons et tenter de lancer une dynamique nouvelle dans le progrès. L’adoption de l’économie du marché ne s’est pas accompagnée d’une modernisation de la gouvernance économique», a-t-il précisé. Parmi les autres options du Ppp, le porte-parole cite l’économie du marché avec une responsabilité sociale de l’Etat et la mise en place des mécanismes et des modalités de transparence garantissant l’Etat de droit.
Le mensonge, ce fut un temps !
Pour M. Touzri, tout doit rimer avec la transparence, et non à la corruption et le mensonge. «Ce fut un temps. Le gouvernement doit servir le peuple et non les individus. Le temps est fini de nous mentir à tous les coups et de nous avancer des chiffres qui n’ont rien à voir avec la vérité», a-t-il dit, faisant allusion au taux de la pauvreté qui frise aujourd’hui les 25% et non 4 à 6% comme l’a toujours déclaré l’ancien régime.
Au centre de la conférence, un panel de questions, notamment sur la coopération Nord/Sud. «Elle doit être réévaluée, révisée et soumise à un bilan de parcours pour savoir si elle a vraiment atteint son objectif. N’oublions pas la coopération Sud/Sud, c’est très important», a-t-il insisté. Et le tourisme? «C’est un secteur qui fait vivre les milliers de familles. Il faut le développer, tout en tenant compte de la nécessité de protéger le littoral, aujourd’hui, grignoté par le béton. Ceci nuit à l’environnement et ça ne peut pas continuer ainsi», a-t-il ajouté.
Interrogé sur le report des élections de l’Assemblée constituante, le porte-parole du Ppp a dit qu’il s’impose. «Il faut bien. Car ni la commission ni le pays ni le peuple ne sont prêts aux élections le 24 juillet. C’est aussi une occasion pour laisser aux Tunisiens le temps de découvrir les partis avant de voter».
Une façon d’inviter les citoyens à mieux faire sa connaissance. Ils ont tout l’été pour découvrir, adopter (ou non) ses idées.
Zohra Abid